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nous ôte comme nous faisons véritablement ce qu’il fait en nous. Je suis ravie que tous ayez cette occasion de mériter… Contentez-vous que c’est pour votre considération que ne suis pas céans il y a plus de six mois, et que j’aurais déjà l’habit sans vous ; car nos mères ont reçu le noviciat de quatre années que j’ai fait dans le monde pour toute épreuve… Si bien que la seule peur que j’aie eue de fâcher ceux que j’aime a différé jusques ici mon bonheur. Il n’est pas raisonnable que je préfère plus longtemps les autres à moi, et il est juste qu’ils se fassent un peu de violence pour me payer celle que je me suis faite depuis quatre ans. J’attends ce témoignage d’amitié de toi principalement, et je te prie pour mes fiançailles qui se feront, Dieu aidant, le jour de la Sainte-Trinité…

J’écris à ma fidèle ; je vous supplie de la consoler si elle en a besoin et de l’encourager. Je lui mande que si elle s’y sent disposée et qu’elle croie que je la pourrai encore davantage fortifier, je serai ravie de la voir ; mais que si elle vient pour me combattre[1], je l’avertis qu’elle perdra son temps. Je vous en dis de même et à tous ceux qui voudraient l’entreprendre, pour vous épargner à tous une peine inutile. Je n’ai que trop patienté

Ce n’est que par forme que je t’ai prié de te trouver à la cérémonie, car je ne crois pas que tu aies la pensée d’y manquer. Vous êtes assuré que je vous renonce si vous le faites. Adieu, je suis de tout mon cœur…

Faites de bonne grâce ce qu’il faut que vous fassiez, c’est-à-dire en esprit de charité, et ne me donnez point de déplaisir, car il me semble que je ne vous en ai point donné de sujet, mon très cher frère.

Votre très humble et très obéissante sœur et servante

S[ŒUR] J[ACQUELINE] D[E] SAINTE-EUPHEMIE.


Singulière lettre, et qui dut tout à la fois froisser, irriter, et toucher profondément Pascal. Comme on sent, sous la volontaire retenue du langage, bouillonner une fière et impatiente et pourtant charmante personnalité ! A chaque instant, elle fait éclater de sa vivacité impérieuse ou câline la rigidité des cadres que la politesse monacale lui impose. Le moi a été réprimé, il n’a pas été effacé ou éteint. Ces Pascal sont tous les mêmes : ils ont beau proclamer le moi « haïssable : » ils ne parviendront jamais à le supprimer entièrement.

Nous savons par une autre lettre de Jacqueline à Mme Perier l’effet que produisit cette lettre sur Blaise : « il vint le lendemain fort outré avec un grand mal de tête que cela lui causait, et néanmoins fort adouci ; » il avait, peu auparavant, demandé à sa sœur d’attendre deux ans encore : il ne demandait plus maintenant que d’attendre jusqu’à la Toussaint ; la voyant à la fois

  1. Cf. Polyeucte :
    Madame, quel dessein vous fait me demander ?
    Est-ce pour me combattre, ou pour me seconder ?