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apprêt dresse vivantes devant nous ! Bossuet a beaucoup admiré la bravoure tranquille du grand Condé qu’il fallut réveiller d’un profond sommeil au matin de la bataille de Rocroy : le calme sommeil de Jacqueline Pascal dans les heures qui précèdent son entrée à Port-Royal n’est-il pas aussi admirable ? Et tous ceux qui pensent qu’il n’y a pas de véritable héroïsme « sans humanité » sauront bien, sous la pudeur voilée des termes et la prudente réserve des attitudes, reconnaître et admirer la richesse de sensibilité et la profondeur de tendresse qui se dérobe, se refrène et se trahit tout ensemble.


III

Le « consentement » de Mme Perier ne pouvait suffire à Jacqueline. Deux mois après son entrée à Port-Royal, elle écrivit à son frère pour lui demander le sien et pour le prier d’assister à la cérémonie de ses vœux. Nous avons la longue et curieuse lettre qu’elle lui adressa en cette occasion. Sainte-Beuve n’en a cité qu’une dizaine de lignes, non les plus significatives, et s’est abstenu d’un commentaire qui, pourtant, répondait si bien à son objet. Cette lettre est le digne pendant de celle que, quatre ans auparavant, Jacqueline écrivait à son père ; mais ici, ce n’est plus à l’Iphigénie de Racine qu’elle nous fait songer, c’est au Polyeucte de Corneille, dont elle retrouve spontanément l’inspiration, et dont elle parle tout naturellement la langue. Jacqueline Pascal est à la lettre une héroïne cornélienne. Elle exhorte « son très cher frère » à « étouffer les sentimens de la nature ; » elle souhaite que « Dieu exauce enfin les prières et les larmes presque continuelles qu’elle lui offre depuis plus de quatre ans. » Et elle ajoute :


Car encore que je sois libre, et qu’il ait plu à Dieu qui châtie en favorisant et dont les châtimens sont des faveurs, de lever en la manière que vous savez et que je n’ose nommer pour ne mêler rien de triste parmi ma joie, le seul obstacle légitime qui pouvait s’opposer à l’engagement où je désire d’entrer, je ne laisse pas d’avoir besoin de votre consentement et de votre aveu, que je demande de toute l’affection de mon cœur, non pas pour pouvoir accomplir la chose, puisqu’ils n’y sont point nécessaires, mais pour pouvoir l’accomplir avec joie, avec repos d’esprit, avec tranquillité, puisqu’ils y sont nécessaires absolument et que sans cela je ferai la plus grande, la plus glorieuse et la plus heureuse action de ma vie avec une joie extrême mêlée d’une extrême douleur, et dans une agitation d’esprit si