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vocation qu’il lui a plu me donner (et que vous m’avez permis de conserver), qui est le désir de l’accomplir aussitôt qu’il m’aura fait connaître sa volonté par la vôtre ; puis, dis-je, que ce désir m’augmente de jour en jour, et que je ne vois rien sur la terre qui me pût empêcher de l’accomplir si vous me l’aviez permis, cette retraite me servira d’épreuve pour savoir si c’est en ce lieu-là que Dieu me veut. Je pourrai là l’écouter seul à seule, et peut-être par-là je trouverai que je ne suis pas née pour ces sortes de lieux ; et, s’il en est ainsi, je vous prierai franchement de ne plus songer ni vous préparer à ce que je vous avais dit ; mais bien, si Dieu me fait entendre que j’y suis propre, je vous promets que je mettrai tout mon soin à attendre sans inquiétude l’heure que vous voudrez choisir pour sa gloire ; car je crois que vous ne cherchez que cela ; au lieu que je vis à présent dans un désir continuel d’une chose que je ne sais si elle pourrait réussir, quand même vous la souhaiteriez… C’est pourquoi je vous conjure, si j’ai jamais été assez heureuse pour vous satisfaire en quelque chose, de m’accorder promptement ce que je vous demande. Ces religieuses (quelle subtilité charitable encore dans l’imprécision volontaire de la formule ! ] ces religieuses ont eu assez de bonté pour me l’accorder de leur part ; M. Perier, mon frère et ma fidèle [Mme Perier] l’approuvent et en sont contens, pourvu que vous y consentiez, si bien qu’il ne dépend que de vous seul. J’ai pris la hardiesse de vous prier de peu de chose en ma vie ; je vous supplie, autant que je le puis et avec tout le respect possible, de ne me point refuser celle-ci, et surtout de ne me point laisser sans réponse… S’il y avait quelque conjuration plus forte que l’amour de Dieu, pour vous obliger de m’accorder en sa faveur cette petite prière, je l’emploierais en une occasion pour laquelle j’ai tant d’affection et qui me fait vous conjurer, au nom de ce saint amour que Dieu nous porte et que nous lui devons, d’accorder ma demande ou à ma faiblesse, ou à mes raisons, puisque vous devez être certain, plus par la dernière épreuve que vous en avez faite que par toutes les autres, que vos commandemens me sont des lois, et que toutes les fois qu’il s’agira de votre satisfaction, au préjudice même du repos de toute ma vie, vous connaîtrez par la promptitude avec laquelle j’y courrai que c’est par reconnaissance et par affection plutôt que par le devoir, et que quand je vous accordai ce que vous me demandiez, c’était par pure affection à votre service (selon Dieu), lequel vous me dites être la cause pourquoi vous me reteniez auprès de vous. J’espère en Dieu qu’il vous fera connaître quelque jour combien plus je vous pourrai servir auprès de lui qu’auprès de vous[1]

  1. Cf. Racine, Iphigénie :
    Mon père,
    Cessez de vous troubler, vous n’êtes point trahi :
    Quand vous commanderez, vous serez obéi.
    Ma vie est votre bien : vous voulez le reprendre :
    Vos ordres sans détours pouvaient se faire entendre,
    D’un œil aussi content, d’un cœur aussi soumis
    Que j’acceptais l’époux que vous m’aviez promis,
    Je saurais, s’il le faut, victime obéissante,
    Tendre au fer de Calchas une tête innocente,
    Et, respectant le coup par vous-même ordonné,
    Vous rendre tout le sang que vous m’aviez donné.
    Si pourtant ce respect, si cette obéissance,
    Parait digne à vos yeux d’une autre récompense…
    J’ose vous dire ici qu’en l’état où je suis,
    Peut-être assez d’honneurs environnaient ma vie
    Pour ne pas souhaiter qu’elle me fût ravie…
    N’est-ce pas la même langue et les mêmes formules, la même habileté dialectique, le même mouvement et, si je puis dire, les mêmes intonations ?