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plaintes de cœurs ulcérés dont l’injustice est trop flagrante pour que Français ou Serbes en gardent le souvenir. Ces emportemens immérités des jours de colère ne sauraient longtemps prévaloir contre d’anciennes et naturelles sympathies.

Plus favorisée que sa sœur aînée la Serbie, la jeune Bulgarie, hier encore vassale, semble à l’abri des empiétemens du Nord-Est. Si la révolution jeune-turque paraît lui fermer les routes de la Macédoine et l’accès de la mer Egée, à aucun de ses voisins, chrétiens ou musulmans, elle ne saurait prêter de mauvais desseins contre son indépendance. Bulgarie et Roumélie orientale, réunies sous le spectre émancipé du tsar Ferdinand, n’en demeurent pas moins sur la grande voie de Vienne et de Berlin à Stamboul et à l’Asie Mineure. Pour proclamer son indépendance, le nouveau roi des Bulgares a eu beau s’entendre avec l’empereur François-Joseph, ni lui ni ses sujets ne songent à se ranger dans la clientèle austro-allemande. Le Bulgare est essentiellement autonome, défiant de toute sujétion directe ou indirecte ; si, avec Stamboulof, il s’est jadis émancipé de la tutelle de la Russie émancipatrice, ce n’est certes pas pour tomber sous celle des rivaux de la Russie et des contempteurs du Slave. A travers toutes les crises, on peut être assuré qu’il ne fera d’autre politique que la sienne. Bulgare avant tout, épris des réalités, il ne lui suffit point d’avoir proclamé son indépendance ; pour l’assurer et la renforcer, il veut fortifier, dans tous les domaines, sa nationalité, en même temps que l’affranchir des tares qu’a pu laisser sur elle le joug séculaire de Stamboul ou de Byzance. Il prétend se « désorientaliser, » se moderniser, et comme, pour cette double tâche, il sent qu’il lui faut des maîtres ou des guides, il préfère les chercher là d’où il n’a rien à craindre, d’où ne lui sont jamais venus que des conseils de liberté et des paroles d’amitié. C’est la raison de la vogue croissante de notre langue en Bulgarie, du goût décidé que montre pour elle l’élite de cette forte race, affranchie depuis à peine une génération. Les pères n’apprenaient guère que les langues de leurs maîtres religieux ou politiques, le turc et le grec ; les fils préfèrent le français. Ainsi se manifeste le changement d’orientation de ce vieux peuple bulgare, qui, lui aussi, a derrière lui, sur le sol européen, plus de mille ans d’histoire. A peine émancipés, ces modernes Thraces, aux lointaines origines asiatiques, se retournent résolument vers l’Occident.

En Roumanie et en Grèce, pays plus riches, de civilisation