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n’en sommes pas indignes. Nous y avons d’autant plus d’intérêt que, à bien considérer le vaste monde moderne, ce n’est pas seulement l’Orient de l’Europe ou l’Occident de l’Asie qui, d’instinct, ont conféré à la France et à la langue française cette noble mission civilisatrice ; c’est, pour des raisons analogues, dans l’autre hémisphère, tout un vaste continent, tout un monde encore adolescent cl déjà riche de promesses.

Nul n’ignore les sympathies persistantes que témoignent à notre langue et à notre pays, des hauts plateaux du Mexique aux forêts du Brésil et à la pampa de l’Argentine, les peuples de l’Amérique latine. Si les jeunes nations hispaniques du Nouveau Monde et les peuples rajeunis du vieil Orient montrent la même ferveur pour notre langue française, ce n’est point rencontre de hasard. Sur les bords de l’Orénoque et de la Plata, tout comme sur les rives du Danube ou de la Maritza, la langue et la culture françaises apparaissent encore aujourd’hui comme le plus sûr instrument d’éducation personnelle et d’émancipation nationale. Plus heureuses que les peuples du Balkan, la plupart des républiques espagnoles ou portugaises du nouveau continent ont depuis longtemps conquis une indépendance que personne désormais ne menace plus. Presque toutes enfin sorties des convulsions de leur turbulente enfance, elles peuvent grandir librement. La doctrine de Monroe, qui a protégé leurs premières années, prétend toujours les abriter sous sa garantie. Si, du Mexique au Brésil et à l’Argentine, certains Américains du Sud semblent s’inquiéter de l’extension successivement donnée par les Américains du Nord à cette doctrine « yankee » bientôt séculaire ; s’ils craignent, aux bords de la mer des Antilles surtout, que la bienveillante protection dont les a longtemps couverts les larges ailes de l’aigle américaine ne tende peu à peu à se changer en un lourd protectorat, les loyales déclarations du gouvernement de Washington, les traditions mêmes du Capitule et de la Maison Blanche semblent de nature à rassurer leur patriotisme. Mais, quand ils n’auraient rien à redouter, pour leur indépendance, de l’hégémonie, sur leur vaste continent, de la bannière étoilée, il ne suffit pas, aux peuples grandissans de l’Amérique latine, de conserver leur indépendance politique. Ils ont une autre ambition non moins légitime, celle de garder intacts leur caractère et leur génie national. Ils craignent, sans toujours l’avouer, que la grande ombre projetée du Nord par la