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d’Aristophane par exemple, il nous paraît à nous d’une qualité moins originale et d’une étoffe moins riche. Mais, à coup sûr, et probablement pour cette raison même, il était bien plus près de la réalité moyenne que le poète se proposait de mettre en scène.

De même que le choix des mots, la construction de la phrase et la liaison des idées visent avant tout, chez Ménandre, à l’imitation de la vie. Il n’admet pas qu’un personnage au théâtre parle comme un livre. Il veut que la phrase ait l’air de naître spontanément avec l’idée, il veut qu’elle s’arrête ou s’étende avec elle, qu’elle ne paraisse jamais ni préparée d’avance ni arrangée et composée par réflexion. D’un autre côté, comme elle fait partie d’une œuvre d’art, elle n’a pas le droit d’être incorrecte, ni même, autant que dans la réalité, indécise d’abord et obscure, sauf à se corriger et à s’éclaircir peu à peu. La perfection, en cette matière, — et Ménandre est bien près de la réaliser, — c’est donc de réduire l’art, pour ainsi dire, au minimum. On ne noierait peut-être pas, dans tout ce que nous possédons de lui aujourd’hui, un seul de ces morceaux oratoires qui semblent comme des discours insérés dans le drame. Nous les appelons, avec une nuance très juste de critique, des « tirades. » Il y en a, il est vrai, chez des auteurs dramatiques renommés, qui font grand effet et qui enlèvent les applaudissemens ; mais la tirade, en soi, n’en est pas moins contraire à l’esprit même du drame. Peut-on dire que Ménandre l’a évitée ? en réalité, elle paraît plutôt lui avoir été naturellement étrangère. Ce qui la caractérise essentiellement, c’est l’amplification logique, qui fait progresser l’idée et qui la pousse toujours plus loin, jusqu’au trait final où elle se condense et se résume avec toute sa force et tout son éclat. Voilà justement ce qu’on ne trouve jamais chez Ménandre. Non seulement le développement ordonné y est fort rare, mais l’allure même de la phrase y est aussi peu réglée que possible. Elle a souvent une certaine mollesse de contours, une sorte de laisser aller et de négligence voulue, qui ne l’empêche jamais d’être claire, mais qui reproduit à s’y méprendre le mouvement naturel île la pensée. Elle sera courte, si le personnage n’a que peu de chose à dire. Elle s’allongera, lorsqu’il cherchera à s’expliquer, mais elle s’allongera en s’organisant le moins possible Jamais elle n’aura l’air d’un instrument d’analyse forgé dans l’école. Usant de la langue la plus riche en particules de liaison,