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absolument différent de celui de la tragédie, nous trouvons précisément ici, au plus haut degré, ce souci, trop souvent étranger à Euripide, de ne rien faire dire aux personnages qu’ils n’auraient pu dire en réalité, ou du moins rien qui n’ait l’air d’avoir pu être dit par eux. Car, à vrai dire, le poète nous dupe incontestablement. Ses paysans, si nous y regardons de près, raisonnent avec une netteté, une rectitude, une adresse, et même un savoir-faire, qui supposent des esprits fort exercés. Seulement, chez Ménandre, ce savoir-faire prend, grâce à un tour de main qui lui est propre, un air de naïveté. Les raisons alléguées sont si simples en elles-mêmes, si conformes à l’état d’esprit du plaideur, qu’elles semblent avoir dû s’offrir à lui spontanément. Et la façon de les présenter contribue encore plus à l’illusion. La marche des idées a, chez nos deux discoureurs, quelque chose de primitif et d’inexpérimenté ; ils ne jouent pas avec le raisonnement, ils semblent plutôt lui obéir ; leur logique est courte et passionnée : nul art de ménager les effets ; dès qu’ils tiennent un argument, on dirait qu’ils ont hâte d’en faire usage, de peur de l’oublier ; ils n’analysent pas les idées, ils ne les détaillent pas, ils s’en servent comme d’un bloc qu’ils assènent sur la tête de leur adversaire. A moins toutefois que l’imagination ne les entraîne, ce qui est le cas du bon charbonnier, lorsqu’il rêve de l’avenir de l’enfant ; mais ce rêve, en ses longueurs mêmes, n’est-il pas une forme charmante de la naïveté ?

Les récits forment un troisième élément très important de toute comédie de Ménandre. Très souvent, ces récits sont des monologues. Car le monologue paraît avoir été alors en grande faveur. Mais il faut bien comprendre que le monologue, chez Ménandre, n’est jamais un morceau de rhétorique. Les personnages qui, dans ses pièces, parlent tout seuls, ne dissertent pas, ils n’exposent pas de théories et ne font pas de beaux discours. Quelquefois, ils nous font assister à un débat intérieur où des sentimens contraires sont aux prises ; et alors le monologue est en quelque sorte un dialogue passionné de l’homme avec lui-même ; ou, selon les cas, une discussion amusante entre ses intérêts et ses calculs. Plus ordinairement, celui qui occupe seul la scène raconte ce que le public a besoin de savoir, et il le raconte au public lui-même. Cette manière de faire, si éloignée de nos usages, paraît avoir été fort goûtée des Athéniens, et il faut reconnaître qu’en lisant Ménandre, on ne peut se défendre