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drame de sentiment, qui est à la fois délicat, émouvant, et, dans quelques parties, atteint à une véritable beauté morale.

Ces deux exemples suffisent, surtout si on les rapproche des comédies de Térence mentionnées plus haut, à mettre en lumière ce qui est l’esprit même de la comédie de Ménandre. Peu difficile sur les données premières et peu soucieuse de les renouveler, elle s’applique instinctivement et elle réussit toujours à en dégager un drame vraiment humain. Très riche en inventions de détail, qui sont toujours amusantes par quelque endroit et surtout par l’abondance des traits caractéristiques qu’elle emprunte directement à la vie, elle les groupe autour d’un fait central, délicatement choisi, qui est proprement l’histoire anecdotique d’un sentiment. Et c’est le développement de ce sentiment qui en fait le charme et l’unité. Il nous faudrait posséder une pièce entière, sans lacunes, pour être tout à fait en état d’étudier cette unité, comme elle demanderait à l’être. Actuellement, les questions relatives à la construction du drame, à la relation de ses parties, au nombre et à la liaison des péripéties, à la progression générale de l’intérêt, sont encore à l’étude ; et les solutions qu’on en pourrait proposer demeurent trop conjecturales pour qu’il y ait lieu de les exposer ici. Mais, comme on le voit, au-dessus de ces détails, le caractère essentiel et dominant apparaît maintenant assez clairement.

Ayant ainsi rencontré dans la vie elle-même la source du meilleur comique, de celui qui jaillit tout à côté du sérieux et qui se mêle au sentiment le plus sincère, Ménandre s’est trouvé bien plus en état que les autres poètes ses contemporains de s’affranchir du comique artificiel. Il y avait alors au théâtre un certain nombre de rôles convenus dont la fonction propre était de faire rire le public : tels le parasite, le cuisinier, le fanfaron, l’esclave facétieux. Les Athéniens n’auraient pas admis qu’on les en privât tout à fait. Ils tenaient à leurs habitudes, en matière d’amusemens comme en beaucoup d’autres choses. Mais il semble bien, aujourd’hui, que si Ménandre n’a pas osé exclure cette catégorie de personnages, il a restreint sensiblement leur importance. Nous ne les voyons pas, dans ce que nous lisons de lui, occuper à eux seuls de longues scènes, comme ils le font trop souvent chez Plaute par exemple, ni s’étendre en dialogues épisodiques où des jeux de mots et des calembredaines font oublier l’action. Ils sont chez lui plus discrets et moins envahissans.