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à les inventer, mais à en tirer un drame varié, à la fois émouvant et amusant, et, par-dessus tout, animé.

Et justement, c’est là d’abord, dans cette constitution intime du drame comique qu’éclate le mérite de Ménandre. Parlant des données que nous venons de caractériser, il se jette immédiatement en pleine réalité et n’en sort plus. Il excelle à faire saillir, en traits brefs, précis, intéressans, le caractère d’une situation et à en découvrir, pour ainsi dire, le contenu. Il nous la fait voir et juger tout de suite avec une clarté vive, une netteté de contours, une franchise de dessin qui est tout attique. Presque toujours, cette situation est émouvante et sérieuse par un côté, comique par un autre. Elle nous met en présence d’une inquiétude, d’une peine, d’un souci, d’une difficulté morale, auxquels nous prenons part spontanément ; elle nous montre des personnages avec lesquels nous sympathisons, au moins partiellement. Mais elle nous laisse entrevoir que cette difficulté tient au fond à peu de chose, qu’elle est liée à un malentendu, et qu’il suffira d’une explication pour la dissiper. Nous savons qu’il n’en résultera rien de grave pour personne. Et, dès lors, nous pouvons nous amuser franchement des incidens qui surgissent, des ridicules ou des maladresses auxquels ils donnent l’occasion de se produire, en un mot de tout le détail d’invention plaisante et de tout le développement des caractères qui nous est offert de scène en scène.

La délicatesse de l’art de Ménandre et ce qu’on pourrait appeler sa finesse exquise de pondération se montrent tout particulièrement dans l’adresse, instinctive en apparence, avec laquelle ces deux élémens, l’un sérieux et touchant, l’autre amusant, sont associés l’un à l’autre dans toute l’action et habilement équilibrés. La pièce intitulée la Femme aux cheveux coupés a pour sujet une brouille entre deux amans, Polémon et Glycère. Une méprise excite la jalousie de Polémon et le pousse à un acte de brutalité qui a pour conséquence la fuite de Glycère ; c’est le point de départ de l’action : les voilà séparés. Or tous deux intéressent le spectateur, lui par la sincérité de son amour, elle par l’outrage injuste qu’elle a subi, par la révolte de sa conscience et le sentiment de sa dignité. Nous apprenons d’ailleurs presque aussitôt, par un récit de la Méprise personnifiée, que Glycère a été abandonnée dès sa naissance avec son frère et que la violence de Polémon à son égard aura pour résultat de lui faire