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Résolument, et par le fond même de son invention dramatique, il se plaçait ainsi en pleine réalité contemporaine. Mais, non moins résolument, il acceptait d’encadrer cette réalité dans les conventions traditionnelles. Et s’il accommode ces conventions à son goût naturel de vérité, c’est toujours avec le moins d’effort possible, d’une manière aisée et simple. Sans doute, il aimait mieux consentir à une certaine banalité dans les données premières que de recourir, pour la dissimuler, à des inventions compliquées. Il nous met donc, pour débuter, en présence d’une situation troublée, issue de faits antérieurs dont l’invention n’a rien de très neuf. Ces faits, en général, nous sont exposés presque aussitôt, soit dans un prologue proprement dit, soit en quelques scènes vivement dialoguées et complétées par un récit qui s’adresse tout simplement au public. Ce récit peut être fait par un des personnages de la pièce ; il peut l’être aussi par un être irréel, dieu ou figure allégorique, créé tout exprès. Une fantaisie franche, à la fois traditionnelle et osée, caractérise ainsi dès l’abord cet art souple, très ennemi de la contrainte, qui n’a ni peur ni souci des invraisemblances nécessaires, assuré qu’il est d’ailleurs de les sauver par l’esprit et la bonne grâce. La cause du trouble dont on nous rend témoin est ordinairement une séduction ou un acte de violence, dont les conséquences, dissimulées le plus possible, finissent par se révéler. Nouveau-nés abandonnés et recueillis par hasard, puis rendus à leurs parens, substitutions d’enfans, aventures presque légendaires, tels sont les thèmes communs, où nous reconnaissons immédiatement l’influence de la tragédie[1]. Pour les transporter dans la comédie, Ménandre, comme tous les poètes ses contemporains, se contente de les expliquer par l’invention facile de quelques circonstances appropriées. Il suffisait à son public qu’elles ne parussent pas impossibles pour qu’il les acceptât sans difficulté.

A vrai dire, si l’on était tellement indulgent pour ces données premières, ce n’était pas seulement par habitude ; c’était aussi parce qu’elles n’étaient pas la pièce elle-même ; celle-ci, on le savait bien, ne commençait vraiment qu’après l’exposé qui en était fait d’abord. La tâche propre du poète consistait, non pas

  1. L’une des pièces retrouvées, l’Arbitrage, met très vivement en lumière cette influence directe de la tragédie sur la comédie. L’histoire de l’enfant exposé, qui y tient une si grande place, est empruntée à l’Alopé d’Euripide, et Ménandre y a pris l’invention essentielle d’une des meilleures scènes de sa pièce.