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énergiquement Strat, a été un acte vraiment spontané, le coup d’un cœur paternel, qu’aucune influence extérieure ne détermina. Personne avant moi n’avait conseillé ou demandé le retrait de la candidature, et pendant mon séjour au château de Hohenzollern, personne non plus n’est venu ni directement ni indirectement à mon aide. Le roi Guillaume a été véridique en affirmant maintes fois qu’il était resté complètement étranger à la renonciation ; qu’elle avait eu lieu en dehors de toute pression de sa part ; qu’il ne l’avait ni ordonnée ni conseillée ; j’ignorais même alors qu’il l’eût souhaitée. »

Lorsque le prince Antoine annonça sa résolution à son fils, celui-ci refusa de l’adopter : les mêmes scrupules honorables qui l’avaient fait hésiter si longtemps à accepter à cause de ses rapports avec Napoléon III le rendaient rétif à renoncer à cause de ses engagemens envers Prim et Bismarck. Sa femme ne pouvait se décider à rejeter de sa tête la belle couronne, objet de sa convoitise, qu’elle y sentait déjà posée. Ramener le prince eût demandé du temps et l’on était pressé. Strat obtint du père qu’il fît acte d’autorité et prît sur lui de renoncer au nom de son fils, sachant que Léopold n’oserait le démentir publiquement. Et voilà comment la renonciation, au lieu d’être faite comme l’acceptation, par Léopold, le fut par le prince Antoine. Le prince Antoine eût du moins voulu, avant d’informer les Espagnols et le public, avertir le chef de la famille conformément au statut familial, mais cette démarche exigeait encore du retard, et Strat, ignorant les vraies dispositions du Roi, redoutait que de là ne vînt quelque opposition. Il obtint que la publicité ne fût pas différée. Le prince Antoine y consentit d’autant plus volontiers, que connaissant, lui, les désirs secrets du Roi, il était certain que le chef de la famille ne lui en voudrait pas de cette infraction à la discipline familiale.

Strat, sans perdre une minute, expédia le soir même du 11 un télégramme chiffré à Olozaga lui annonçant l’heureux résultat, télégramme qui parvint à Paris tard dans cette soirée du 11. Ce télégramme venait de partir lorsque arriva l’envoyé du Roi, le colonel Strantz, retardé par un accident de voiture[1]. Le prince

  1. On voit ce qu’il faut penser de la supposition fantaisiste, émise plus tard par Benedetti, dans un dessein d’exaltation personnelle que « cette transmission de la dépêche du prince Antoine avait été concertée entre Ems et Sigmaringen et que, le 12, le Roi avait entre les mains l’expédition de la dépêche que le prince Antoine adressait le même jour à Olozaga. »