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« Mon rôle, qui n’est pas facile, écrit-il à Gramont, est, tout en agissant de mon mieux sur l’opinion, de faciliter aux individus les moyens de se retourner. Veuillez donc, je vous prie, ne pas imputer à faiblesse ce que je pourrai faire dans ce but. Certains ménagemens n’ôteront rien à la fermeté de mon attitude et de mon langage. Je suis défiant autant que je le dois, croyez-le bien[1]. » Gramont ne prit pas davantage au sérieux ce qui était si peu sérieux et il ne s’y arrêta pas plus dans ses actes que le Cabinet et l’Empereur.

L’intervention des puissances avait donc échoué à Berlin et à Madrid. Au contraire, la négociation occulte et personnelle de l’Empereur avec Serrano réussit pleinement. Gramont, sachant que Mercier était initié au secret par Bartholdi, crut devoir confirmer, par ses instructions de chef officiel responsable, celles de l’Empereur. Dès le 9, lendemain de la rentrée du Régent à Madrid, il le pria d’aller le voir et de lui dire qu’ « au point où en sont les choses, lui seul peut donner la paix à l’Europe en agissant auprès du roi de Prusse et du prince de Hohenzollern. Ajoutez que le France lui en sera reconnaissante avec le monde entier et que le gouvernement de l’Empereur n’oubliera jamais une action aussi magnanime (8 juillet). » Est-ce là le langage d’un ministre « dont l’intention arrêtée était de précipiter une rupture et de profiter de la querelle au lieu de l’éteindre ? »

Bartholdi arriva à Madrid le 10 juillet au matin. Après avoir communiqué à Mercier ses instructions, il se rendit incontinent auprès de Serrano et lui exposa, avec une insistance habile, le désir de l’Empereur. Serrano, depuis qu’il n’avait pu tenir ses engagemens envers Montpensier, s’était désintéressé de la recherche du Roi et avait accepté le Hohenzollern sans objection. Les nouvelles de Paris l’avaient tiré de sa torpeur. Il eût bien voulu reculer, mais attentif à ne pas sortir de son rôle constitutionnel, ayant de plus donné son consentement, il n’osait pas suivre ses impulsions. Il prodiguait les paroles amicales à Mercier, lui donnait des assurances de son bon vouloir : il n’avait pas compris ce qu’il faisait. Il défendait Prim, répétait les sornettes que ce dernier lui avait contées ; il niait même qu’il y eût eu une lettre échangée entre Prim et le prince. Puis, tout ceci dit, il ajoutait avec sa bonhomie avisée : « Répondre après cela

  1. Lettre particulière.