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qu’un orateur radical-socialiste a qualifiées autrefois d’ « abjectes, » et qui ne sont pas moins communes aujourd’hui qu’elles l’étaient à ce moment. Mais pouvons-nous compter sur la Chambre pour corriger ces abus ? Elle en est le produit et elle en vit. Pouvons-nous compter sur le ministère ? Il est le produit de la Chambre, et, devenant une cause après avoir été un effet, il est le distributeur de la manne électorale qui propage le virus corrupteur dans le pays lui-même. Le gouvernement et la Chambre s’émeuvent parfois et s’inquiètent lorsqu’ils sont en présence d’un danger immédiat, comme celui d’hier ; sentant la mort passer, ils ne savent à qui se recommander ; mais aussitôt que la crise violente est passée, ils retournent à leurs vieilles habitudes en dehors desquelles ils sentent pour eux l’impossibilité de vivre, et dont cependant ils mourront un jour. Il est chimérique de vouloir trouver le remède au siège même du mal. On connaît le mot de ce ministre qui, s’adressant à une Chambre qu’on accusait aussi d’être issue de la corruption, lui disait : « Vous sentez-vous corrompue ? » Il semble, pour certains hommes politiques, qu’il n’y ait de réalité que dans le Parlement, et que les choses soient nécessairement comme le Parlement les voit, comme il les sent, comme il les veut. Mais le moment vient toujours, un peu plus tôt ou un peu plus tard, où les fictions parlementaires se dissipent et où la vérité retrouve d’un même coup son droit et sa force.

En dépit des assurances qui lui ont été données, d’abord par M. Barthou, puis par M. Clemenceau, que sa « souveraineté » avait été respectée, — comme si elle était souveraine ! — la Chambre sent confusément le danger qui la menace et qui menace avec elle tout notre régime constitutionnel. Déjà la puissance dont elle a abusé lui échappe, et elle va où ? dans les syndicats. C’est ce que M. Charles Benoist a expliqué dans un discours dont la forme était aussi spirituelle que le fond en était sérieux et inquiétant. L’autorité finit par aller là où est la force, et on vient de voir où la force est aujourd’hui. En face du gouvernement et de la Chambre se sont dressés les comités de la grève. On a entendu alors pour la première fois les noms d’hommes profondément ignorés la veille, qui, sans égard pour les réserves et les protestations oratoires de M. Barthou, ont traité avec lui et avec M. Clemenceau, faut-il dire d’ « égal à égal ? » Il y a eu des momens où l’égalité n’existait plus, et ce n’était certainement pas à leur désavantage qu’elle était détruite. Tout ce qu’ils ont demandé, ou plutôt exigé, ils l’ont obtenu. Ils ont exigé qu’aucun d’entre eux n’encourût une peine quelconque pour faits de grève ou pour faits connexes.