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ne défendait aux moines assemblés de prendre plaisir aux chansons, non plus sans doute liturgiques, mais religieuses encore et morales, des artistes en jonglerie. Enfin, pour le divertissement, non plus du monastère, mais du château féodal, un autre répertoire, tout profane celui-là, se forma. Certains motets, et de grande allure, paraissent bien avoir été destinés, réservés même à des auditoires seigneuriaux. C’est ainsi qu’une fois de plus, l’origine d’un art, ou d’une forme de l’art, a été religieuse et que, dans l’ordre esthétique, fût-ce dans un détail de cet ordre, l’Église nous apparaît toujours comme l’institutrice de la société.

Après l’étude générale du motet, l’analyse des cent motets eux-mêmes fournit au savant éditeur l’occasion d’intéressantes remarques. Les unes ont trait au texte, d’autres concernent la musique. Telle pièce du manuscrit de Bamberg dénote chez le compositeur anonyme une singulière habileté. Les parties ou les membres de phrase y soutiennent ensemble les plus ingénieux rapports d’imitation et d’alternance, ou de réciprocité. D’autres remarques ont un sens plus général. Rencontrant pour la première fois, dans un motet du XIIIe siècle, un « timbre, » c’est-à-dire un thème consacré, celui de l’Alma Redemptoris Mater, M. Pierre Aubry nous en raconte l’histoire. A travers des siècles de polyphonie, il le suit, le perdant et le retrouvant tour à tour. Ailleurs, ce n’est plus à la mélodie, c’est au texte qu’il s’attache. S’agit-il de certain motet biblique, Descendi in hortum, que le Cantique des Cantiques inspira, le commentateur en dessinera le graphique, ou la courbe, depuis une antienne de l’Office romain jusqu’à telle composition italienne du XVIIe siècle, et d’une forme littéraire, comme précédemment d’une forme sonore, nous connaîtrons ainsi l’évolution, j’allais presque dire la destinée et la vie.

Oui, la vie en effet, car ces formes anciennes de la poésie et de la musique, M. Pierre Aubry sait le secret de les ranimer et de nous les rendre comme présentes. Il en dégage tout ce qu’elles peuvent renfermer, tantôt de sérieux, tantôt de vif et de pittoresque. A propos d’un autre motet encore, il n’est pas éloigné d’esquisser une histoire des Juifs dans la musique d’église. Le motet en question : O natio nefandi generis, est dirigé contre eux. On sait, ou du moins on peut apprendre ici, que le moyen âge a lancé plus d’un trait, littéraire, et musical même, dans cette direction. Gens perfida. Ces deux mots résument assez exactement la pensée générale du XIIIe siècle, que d’ailleurs la rapacité, la mauvaise foi d’Israël et ses habitudes d’usure — alors — avaient formée. « Nombre de séquences du moyen âge sont le reflet de cette