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d’un asile central. Tous les malades aptes à des travaux d’agriculture doivent y être employés régulièrement, sous la direction de personnes autorisées et compétentes. Les aliénés d’origine citadine, ouvriers et employés, doivent trouver dans cette colonie des ateliers divers, des bibliothèques et des bureaux pour occuper leurs journées à un travail utile. Naturellement, seuls les calmes, inoffensifs et suffisamment valides, pourront être envoyés à la colonie annexée à l’asile. Étant donné la proportion considérable de malades de ces catégories dans nos asiles de province, on prévoit quelle amélioration ce système nouveau, largement appliqué, est appelé à procurer au sort de beaucoup d’aliénés.

Quant à l’idée de placer ces malades dans les familles de paysans, elle a été réalisée dans un petit pays belge, à Gheel, près d’Anvers, aux premiers âges du christianisme. Son existence scientifique nous a été révélée seulement en 1821, toujours par cet infatigable Esquirol[1].

Une très jolie légende est même attachée à l’histoire de la fondation de Gheel. Au VIIe siècle vint se réfugier dans cette région où s’élevait une chapelle dédiée à saint Martin, l’apôtre des Gaules, la fille d’un roi païen d’Irlande qui la poursuivait de son amour incestueux. Convertie au christianisme, la jeune princesse vint chercher la paix près de la chapelle du saint. Mais le père réussit à rejoindre sa victime et lui trancha la tête. Le tombeau de la jeune martyre devint un rendez-vous de tous les habitans pieux de la région. Or, parmi eux, il y avait plusieurs « fous » qui guérirent brusquement en priant sur le tombeau. Ces guérisons miraculeuses ont valu à la malheureuse princesse le titre de « patronne des aliénés. » Dès lors, on amena des malades à Gheel de tous les coins des pays environnans, et on les y installa chez les habitans du village qui les soignaient et les entretenaient en attendant le miracle de leur guérison qui, malheureusement pour eux, n’était pas toujours instantané. Et depuis des siècles on continue à envoyer les fous à Gheel, qui est aujourd’hui une sorte de vaste Salpêtrière à portes ouvertes. Les malades y sont libres dans les maisons et dans les rues tant qu’ils sont calmes et inoffensifs. Ils sont hébergés chez des nourriciers qui ne doivent accepter chacun que deux aliénés à la fois,

  1. Loc. cit., t. II, p. 707. Voyez aussi, sur Gheel, une colonie d’aliénés, l’étude publiée ici même, le 1er novembre 1857, par M. Jules Duval.