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possible un internement qui doit les exposer à des ennuis. De là, même résultat déploré aujourd’hui : dommage probable pour l’avenir de l’aliéné. Il est donc permis de faire toutes sortes de réserves sur l’opportunité de l’article 18 du nouveau projet et d’une façon générale de toute disposition qui charge le pouvoir judiciaire d’un contrôle sortant de sa sphère habituelle de compétence. Ce contrôle ne peut et ne doit être que strictement scientifique, médical et technique. Ceci dit, il est évident que la loi de M. Dubief est animée d’un bout à l’autre du désir d’offrir à l’aliéné un secours médical aussi hâtif et aussi efficace que possible. L’article 15 en est une autre preuve, car, grâce à lui, toute personne majeure qui, ayant conscience de son état d’aliénation mentale, demande à être placée dans un établissement d’aliénés, peut y être admise sans d’autres formalités qu’une demande signée par elle et la production d’une pièce propre à constater son identité.

Ces « séquestrations spontanées » ne sont point rares. Il y a des aliénés qui sont parfois plus raisonnables que leurs parens soi-disant lucides. J’ai reçu dernièrement une dame qui m’a présenté, avec mille précautions oratoires, son époux atteint depuis deux ans d’un délire de persécution actif fondé sur des hallucinations auditives, extrêmement pénibles. Le malade, à force d’entendre toute sorte d’injures et d’allusions blessantes, à force d’être espionné dans ses pensées et ses actes les plus intimes, a fini par arrêter une ligne de conduite violente à l’égard d’un groupe de persécuteurs… Quand j’ai proposé à sa femme, prise à part, de le faire entrer dans un asile fermé, elle s’est mise à fondre en larmes et a protesté contre un pareil remède… Je m’attendais à une résistance plus grande encore de la part du principal intéressé… Mais, à peine avais-je exposé au malade mon conseil, qu’il me dit avec un air de vive reconnaissance : « A la bonne heure, docteur ; c’est cela que je désire, et le plus tôt sera le mieux… »

Aux consultations externes de la Salpêtrière, j’ai reçu en quelques mois une douzaine de personnes délirantes venues spontanément demander leur isolement dans un asile d’aliénés. Il appartiendra au médecin du quartier d’observation de s’assurer qu’il n’a point affaire à un pilier d’asile cherchant à se faire héberger aux frais de l’Etat, dans un établissement public, ou bien à un malfaiteur simulant des troubles psychiques pour