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nouveauté et sa répugnance pour le naturalisme hellénique, était en réalité inassimilable pour des Grecs.

Ainsi qu’on l’a montré récemment[1], l’hellénisme ne pénétra pas profondément en Orient. Les colonies militaires d’Asie centrale furent des îlots perdus au milieu des populations indigènes : l’hellénisme, affaibli déjà par l’invasion des Parthes, fut ruiné dans ces régions au IIIe siècle de 1ère chrétienne par le réveil national des Perses. En Asie Mineure, en Syrie, en Egypte, il y eut de nombreuses cités peuplées de Grecs avec des institutions municipales et une culture hellénique ; sans doute elles furent des centres puissans de propagande hellénique, mais elles n’arrivèrent jamais à absorber la culture indigène. La tentative malheureuse d’Antiochus pour helléniser Jérusalem est bien connue : les Ptolémées, plus prudens, se gardèrent de rien entreprendre contre les cultes égyptiens et s’en montrèrent les protecteurs respectueux. Au fond, le Grec resta pour les Orientaux un intrus ; l’Orient demeura impénétrable à l’hellénisme, mais, ce qui est plus grave, le Grec lui-même se modifia sous l’influence de la culture orientale.

Le même phénomène en effet se produisit dans tous les domaines de la pensée hellénique. De même qu’en religion la doctrine orientale de la purification transforma radicalement les vieux mythes, de même il semble que la vue et l’étude des monumens orientaux aient fait perdre aux artistes grecs leur contact avec la nature. Désormais le beau ne réside plus pour eux dans l’harmonie des proportions humaines ; ils le cherchent hors de l’homme et de la nature, dans la symétrie, dans la richesse et la complication du décor, dans l’opposition de l’ombre et de la lumière, dans les combinaisons des couleurs. Sans doute ils représentent toujours les hommes d’après le canon hellénique, ils construisent toujours des temples entourés de colonnades, mais ils font sans cesse de nouveaux emprunts à l’art indigène. A l’Iran, à la Syrie, à l’Egypte ils prennent les constructions grandioses couvertes de voûtes, les salles hypostyles, los étages d’ordres superposés, les statues colossales, la faune et la flore conventionnelles, les techniques savantes. Cet art, encore tout hellénique au premier siècle de l’empire romain, prend dans le cours des âges un aspect de plus en plus oriental.

  1. Chapot, les Destinées de l’hellénisme au-delà de l’Euphrate (Mémoires de la Société des Antiquaire de France, LXIII, 1902.