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par la foule. L’usage du vin, du porc et de la viande des animaux non égorgés selon le rite musulman s’est répandu et n’est plus réprouvé. Les écoles françaises sont fréquentées sans souci de l’instruction religieuse. M. Ismaël Hamet va jusqu’à parler du « positivisme croissant » des indigènes, et il prévoit que la marche en aboutira « à la neutralité religieuse que connaissent les sociétés européennes et dans les mêmes conditions ; c’est-à-dire que cette neutralité sera toujours en rapport avec le degré de culture des différentes classes de la population. » De son côté, un autre indigène tunisien, M. Bechir Sfar, président des Habous, a défini, au dernier congrès des Sociétés de Géographie, à Tunis, l’état d’esprit actuel de ses coreligionnaires. « Politiquement, a-t-il dit, les Arabes qui régentèrent pendant plusieurs siècles l’Asie, l’Afrique et une bonne partie de l’Europe, semblent laisser à d’autres le soin de la direction mondiale, et, se contentant d’un bagage historique suffisamment glorieux, n’aspirent qu’à un repos suffisamment mérité. Il n’en est pas de même au point de vue intellectuel. Le musulman a soif de s’instruire et, en dépit de tous les obstacles, il prendra part au mouvement général de progrès et de civilisation. »

Cette transformation intellectuelle et morale que saluent les hommes de lettres musulmans ne passe pas non plus inaperçue des Européens qui font de la société indigène l’objet de leurs études. L’un d’entre eux, M. Mercier, qui, par de sérieux travaux d’histoire, s’est mis en état de comparer le passé des indigènes algériens avec leur présent, signale[1] cette évolution dans des termes qui sont presque identiques aux termes employés par les auteurs, musulmans. Il fait tout d’abord justice du prétendu fanatisme irréductible qu’on a si longtemps attribué aux indigènes.

« Le musulman, dit M. Mercier, est un croyant d’une espèce particulière ; forcé de s’incliner devant la nécessité des temps, il a abdiqué toute idée de prosélytisme et il est revenu à la tolérance qui, en somme, est le fond de la doctrine islamique. Mais s’il voit sans le moindre dépit pratiquer autour de lui d’autres cultes, il ne permet pas qu’on gêne ou qu’on méprise sa religion. Intransigeance absolue pour tout ce qui touche à la pratique personnelle de leur culte ; tolérance, indifférence même à

  1. La Question indigène en Algérie au commencement du XXe siècle, par Mercier, passim.