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des fonctionnaires aussi instruits dans leur langue et leurs sciences qu’ils le sont dans les autres pays de l’Islam. On peut attendre beaucoup de cette institution, et peut-être est-il permis d’espérer constituer par ce moyen une aristocratie intellectuelle qui remplacera l’ancienne aristocratie militaire et religieuse que nous avons supprimée et qui nous servira d’intermédiaire auprès des indigènes.

Mais l’évolution d’un peuple en retard de tant de siècles, figé dans sa foi religieuse, vivant dans ses traditions et ses routines, ne peut pas être réalisée en un jour par la seule force de la raison. C’est plutôt la force autrement déterminante de l’intérêt qui sollicitera son énergie et la dirigera vers l’effort par le progrès : on peut en espérer aussi des résultats plus immédiats.

Le développement des sociétés de prévoyance qui habituent les indigènes à l’économie et qui les préservent des famines, le développement de l’enseignement professionnel qui leur met des métiers entre les mains, la multiplication des œuvres d’assistance, telles que les infirmeries, les dispensaires, les tournées de femmes-médecins pouvant aller porter leurs soins au milieu des familles, la suppression des rigueurs de police, telles que l’internement administratif et le permis de voyage, la faculté de plus en plus grande donnée aux indigènes d’accéder aux emplois, la résurrection des anciennes industries locales, principalement celle des tapis, toutes ces mesures apprendront à nos sujets que l’Etat français est un maître capable de grands bienfaits et leur donneront un bien-être assez réel pour que notre domination leur apparaisse comme la plus avantageuse des solutions politiques et qu’à ce titre ils s’y attachent sincèrement.

Dans ces dernières années, nous sommes entrés dans la voie de l’application de ce programme assez complexe comme on voit. Nous avons commencé par pousser à la création de sociétés de prévoyance, de secours et de prêts mutuels, qui ont pour objet de protéger les indigènes contre la famine et l’usure, et dont la nécessité se faisait vivement sentir. Avant la constitution de ces sociétés, dès qu’une récolte manquait, — et le cas est fréquent dans un pays où les pluies sont très irrégulières, — les indignes, n’ayant point de réserves, en étaient réduits à se nourrir de mauves cuites et de racines sauvages. Et le gouvernement était obligé d’intervenir. S’il n’avançait pas le grain nécessaire, des tribus entières se trouvaient dans l’impossibilité