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viendrons. Il y a un mois que je caresse et que je nourris ce projet : une amitié, une famille unie, l’existence la plus simple du monde dans un des pays les plus démens pour l’homme. » — En un mot, Dominique dans le Sahel, peignant, de temps en temps, d’élégans chevaux arabes.

Ce n’est pas tout à fait à ce destin que Fromentin s’est rangé, mais à peu près. Il rentra en France ; il peignit ; il écrivit ; il devint célèbre comme peintre ; il devint célèbre comme écrivain. En 1849 (deuxième médaille au Salon), on peut considérer la longue crise qu’a été sa jeunesse comme terminée.

Elle avait été douloureuse ; mais « rien ne nous rend si grand qu’une grande douleur, » quand, du reste, on est grand de naissance. La jeunesse de Fromentin l’a éprouvé très fortement, mais aussi l’a fortement trempé. L’artiste a triomphé de tous les obstacles que sa vocation artistique avait rencontrés et a profité des richesses sentimentales que ces obstacles et ces traverses avaient accumulées en lui. Nous devons toujours respecter notre jeunesse comme l’âge, sauf exceptions, qui sont rares, où nous avons été le meilleur. Fromentin pouvait la respecter et, tout en frémissant au souvenir de ce qu’elle avait eu de rude, il devait lui être reconnaissant.

Mais est-ce que sa famille avait désarmé devant sa gloire ? Tout à fait non. Dernier trait de mœurs locales qui achève de bien faire entendre la lourdeur des poids que Fromentin eut à soulever. Quand il se maria, en 1853, comme on demandait à sa mère quelle était la profession de son fils, elle répondit : « Artiste peintre, » et éclata en sanglots ; — et le docteur Fromentin, dans son extrême vieillesse, écoutant parler son fils, qui parlait très bien, s’écriait : « Quel avocat il aurait fait ! »


EMILE FAGUET.