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et pleurant indéfiniment sur sa perte. — Ensuite, Fromentin a bien senti que c’est la réalité qui, quelquefois, par rencontre, est plus conventionnellement romanesque que l’imagination. Il a bien compris que Madeleine mourant, quoique ce fût vrai, c’était du roman et ce serait pris par le lecteur comme du roman ; et que la véritable réalité, c’est-à-dire ce qui se passe le plus souvent quand les amis sont honnêtes gens et vertueux et quand ils sont séparés l’un de l’autre par leur vertu, c’est la rupture, qu’il s’agit seulement pour le romancier de présenter d’une manière dramatique ; et les longs tourmens, à travers toute une vie, dans « le silence et les regrets. » La transformation de « l’histoire vraie » en roman, dans Dominique est, très grande leçon, un effort, du reste couronné de succès, pour rapprocher la réalité particulière de la réalité générale. Et notez que… J’en aurais long à dire ; mais il suffit, s’il n’est pas trop, pour aujourd’hui.

Toujours est-il que ce qui a fait la jeunesse inquiète de Fromentin, c’est lui-même ; que ce qui a fait sa jeunesse refoulée et révoltée quelquefois, ce sont ses parens ; que ce qui a fait sa jeunesse chaste, triste et un peu farouche, c’est « Madeleine. »

De tout cela « Dominique » s’est tiré à peu près par la résignation, la vie rurale saine et régulière et le commerce des hautes pensées. De tout cela Fromentin s’est évadé, tout en conservant toujours la fidélité aux souvenirs, par le culte et la pratique de l’art. Il est à remarquer que, dès que Fromentin quitte la France et met le pied en Algérie, le ton change absolument de ses lettres, de ses notes, de toutes ses écritures. Il devient alerte et gai. Je parle du ton et de l’homme lui-même, à ce que l’on peut croire. « Dans l’Orient désert quel devint mon ennui ! » Pour Fromentin il s’y dissipe. Dans le même temps (quelques mois avant) où il écrivait la lettre désespérée d’août 1848, Fromentin écrivait de Biskra une lettre qui contient les passages suivans : « Je suis plus peintre que jamais [souligné par Fromentin]. La paix du désert est entrée dans mon esprit… À pareille distance, en pareils lieux, je crois que tu ne sentirais pas autrement, tu ne saurais imaginer cet effet des lieux sans les connaître… Je rêve une existence chimérique, sans doute, impossible, coupable à certains points de vue, en ce qu’elle est pleine d’égoïsme et peut-être de lâcheté. Mais que veux-tu rêver autre chose devant ce pacifique horizon du désert ?… Si jamais des événemens nous éloignent de France… c’est ici que nous