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pencha à mon oreille et me dit : « L’Empereur de Russie ne veut pas de guerre : il déterminera le retrait de la candidature[1]. » Le mot de guerre n’était donc prononcé par l’Empereur que comme le préservatif le plus efficace de la paix.

Nous quittâmes Saint-Cloud à midi et demi. Gramont, revenu au ministère des Affaires étrangères, dicta la déclaration à deux secrétaires. A deux heures, lorsque le Corps législatif s’ouvrit, il n’était pas encore prêt, et la séance fut suspendue jusqu’à son arrivée. J’entrai le premier. Avant de m’asseoir à mon banc, je m’approchai de Cochery et lui dis : « Vous serez content de notre déclaration ; elle est pacifique, quoique très nette ; relevez-la par quelques phrases fermes. » Il me répondit qu’il ne se croyait pas assez d’autorité, et il alla exprimer mon désir à Daru. Celui-ci arrêta avec lui une déclaration à lire après la nôtre. Mes collègues arrivèrent successivement et enfin Gramont parut. Il monta directement à la tribune, et lut sans y changer un mot le texte arrêté le matin : « Je viens répondre à l’interpellation qui a été déposée hier par l’honorable M. Cochery. Il est vrai que le maréchal Prim a offert au prince Léopold de Hohenzollern la couronne d’Espagne et que ce dernier l’a acceptée. Mais le peuple espagnol ne s’est point encore prononcé, et nous ne connaissons point encore les détails vrais d’une négociation qui nous a été cachée. Aussi une discussion ne saurait-elle aboutir maintenant à aucun résultat pratique. Nous vous prions, Messieurs, de l’ajourner. Nous n’avons cessé de témoigner nos sympathies à la nation espagnole et d’éviter tout ce qui aurait pu avoir les apparences d’une immixtion quelconque dans les affaires intérieures d’une noble et grande nation en plein exercice de sa souveraineté. Nous ne sommes pas sortis, à l’égard des divers prétendans au trône, de la plus stricte neutralité, et nous n’avons jamais témoigné, pour aucun d’eux, ni préférence, ni éloignement. Nous persistons dans cette conduite. Mais nous ne croyons pas que le respect des droits d’un peuple voisin nous oblige à souffrir qu’une puissance étrangère, en plaçant un de ses princes sur le trône de Charles-Quint, puisse

  1. Ce n’est pas la première fois que, par une déclaration de cette vigueur, l’Empereur avait empêché un projet dont l’exécution eût certainement amené la guerre. Lorsqu’il s’agit de faire entrer le Danemark tout entier dans la Confédération germanique, une dépêche semblable, envoyée par Drouyn de Lhuys à Pétersbourg et à Copenhague, fit abandonner le projet.