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milieu de leur formation par une offensive vigoureuse. Nous pouvions dès le début porter un de ces coups heureux qui exaltent le moral d’une armée, doublent sa puissance et sont un gage de son succès définitif.

Chevandier, très au courant de l’organisation des Prussiens, contesta que nous fussions en mesure de les devancer dans l’action. Le Bœuf lui répondit que, grâce à la supériorité de notre état de paix, c’était fort possible, et il nous répéta, ce qu’il a constamment affirmé à quiconque l’a interrogé, comme en témoigne Mac Mahon[1], que « l’armée française, même inférieure en nombre, battrait l’ennemi. » Autour de lui ses officiers tenaient le même langage. Pendant les séances orageuses, mon frère se trouvait dans les couloirs, auprès de son chef de Cabinet, Clermont-Tonnerre, et lui exprimait ses anxiétés : « Soyez donc rassuré, lui répondit le vaillant officier, j’ai suivi l’armée prussienne en 1866, » et, traçant avec le doigt un triangle sur sa main : « Aussi certainement que voilà un triangle, nous la vaincrons. » L’amiral Rigault de Genouilly, ministre de la Marine, n’était pas moins convaincu de la puissance de l’armée française. « Jamais, a-t-il dit, je n’ai cru à une institution comme j’ai cru à notre armée. » Le premier point de départ de notre délibération fut donc que notre armée était prête et en état de vaincre.


VI

Nous examinâmes ensuite la question des alliances. Nous étions tous favorables, l’Empereur et moi surtout, au maintien d’une sérieuse amitié avec l’Angleterre. Mais, dans cette circonstance, nous n’avions aucun concours matériel à en attendre parce que nous n’avions rien à lui offrir. Nous avions, au contraire, quelque chose à offrir à l’Italie, à l’Autriche et à la Russie : à l’Italie, l’évacuation des Etats Romains et l’occasion de nous témoigner sa gratitude des services rendus ; à l’Autriche, la revanche de Sadowa ; à la Russie, la révision du traité de Paris.

Nous ne doutâmes pas de l’Italie. Je connaissais les menées de Bismarck, ses relations avec Garibaldi et Mazzini et l’hostilité de la Gauche. Mais ce parti révolutionnaire formait une petite

  1. Souvenirs inédits. Archives du ministère de la Guerre.