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V

Le 6 au matin, au Conseil des ministres, Gramont exposa ce qui s’était passé. La discussion s’ouvrit. Nous nous enquîmes d’abord de notre situation militaire et diplomatique. C’était le préliminaire obligé. Il est, en effet, des fiertés interdites à qui n’a pas la force de les soutenir, et des résignations honteuses à qui ne peut invoquer sa faiblesse pour les subir. A Olmutz, Bismarck avait ressenti, aussi violemment qu’aucun Prussien, l’affront fait à la Prusse par la sommation insolente de Schwarzenberg ; mais, le ministre de la Guerre étant venu l’informer que l’armée n’était point prête, il avait conseillé l’humilité provisoire jusqu’à ce que la Prusse fût en état de se venger, ce qu’elle fit avec usure en 1866.

Notre première question fut donc : — Notre armée est-elle prête ? — Et nous ne posâmes cette question que pour la forme, car aucun de nous ne doutait de la réponse. Tous nous avions suivi la discussion ininterrompue qui se poursuivait aux Chambres sur ce sujet depuis 1866, se renouvelant au moins deux fois par session. Nous connaissions tous les paroles de l’Empereur aux Chambres : « Notre armement perfectionné, nos magasins et nos arsenaux remplis, nos réserves exercées, la garde nationale mobile en voie d’organisation, notre flotte transformée, nos places fortes en bon état donnent à notre puissance un développement indispensable. Le but constant de nos efforts est atteint ; les ressources militaires de la France sont désormais à la hauteur de ses destinées dans le monde[1]. » Nous nous rappelions les affirmations de Niel : « Je vois avec beaucoup de philosophie les questions de paix ou de guerre qui s’agitent autour de nous à l’étranger, parce que, si la guerre devenait nécessaire, nous serions parfaitement en mesure de la supporter. » — «… Aujourd’hui, que nous soyons à la paix ou à la guerre, cela ne fait absolument rien au ministre de la Guerre : il est toujours prêt[2]. » Et ces paroles encore plus significatives dans les commissions du Sénat et du Corps législatif : « Quand on a une telle armée, ne pas faire la guerre c’est de la vertu. » — Dans quinze jours, avait-il dit aussi, nous aurions

  1. 18 janvier 1867.
  2. L’Empire libéral, t. XI, p. 350.