Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/539

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conseille de frapper ferme et fort. Il faut dire que la mesure est comble[1]. »

Notre pensée préconçue eût-elle été vraiment d’assaillir la Prusse, notre susceptibilité n’eût-elle été qu’une comédie, et notre véritable préoccupation de ne pas laisser échapper une guerre désirée, combien il nous eût été facile dès lors de la déchaîner ! Gramont n’avait qu’à se lever, après Cochery, et donner lecture du télégramme de Lesourd, l’accompagner de quelques commentaires enflammés : une acclamation générale eût répondu à ses paroles et les résolutions décisives eussent été adoptées séance tenante. Nous restâmes silencieux.

Le soir, ma réception officielle fut plus nombreuse que de coutume. On ne s’y entretenait que de l’interpellation. On l’approuvait fort et on m’engageait de tous les côtés à y répondre en termes énergiques. Lyons y étant venu, je lui exprimai nos sentimens avec un abandon inspiré par la confiance. Cette confiance était entière. Les assertions de maints diplomates sont suspectes, soit parce qu’ils entendent mal, soit parce qu’ils répètent de travers. La droiture et le sérieux de Lyons étaient à toute épreuve : le priait-on de ne point se souvenir d’une conversation, il était muet ; l’autorisait-on à s’en servir, il la reproduisait presque mot à mot ; il était, comme Walewski, de ceux dont les rapports devaient être considérés comme vrais. Je ne me crus tenu, à aucune réticence avec lui. « Vous savez, lui dis-je, combien je suis peu contraire au mouvement de libre expansion intérieure de l’Allemagne ; je n’en ressens que plus vivement l’injure inattendue qu’elle veut nous faire subir et l’indignation que j’en éprouve n’est pas moindre que celle du public. Soyez bien persuadé, et instruisez-en votre gouvernement, qu’il est impossible que nous permettions à un prince prussien de devenir roi d’Espagne. Y consentirions-nous, la nation ne nous suivrait pas : tout Cabinet, tout gouvernement qui aurait cette faiblesse, serait aussitôt renversé. Je ne suis pas inquiet, parce que j’ai le ferme espoir que cette éventualité sera conjurée, mais, soyez-en sûr, si elle se réalisait, nous ne la tolérerions pas[2]. »

  1. Journal le Soir, échos de la Chambre.
  2. Lyons à Granville, 7 juillet.