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français, aux aguets, prévenu par ses agens, ferait attaquer en mer le navire qui portait le prince et s’emparerait ainsi du corps du délit ; on négocierait, on s’entendrait à merveille, car il allait de soi que la Prusse trouverait l’affaire toute simple, et l’incident serait terminé. On pense bien que nous ne discutâmes pas ce scénario d’opéra-comique où se retrouve l’amateur de calembours.

D’autres nous conseillaient de déclarer simplement que, dans le cas où le Hohenzollern serait élu, nous retirerions notre ambassadeur, favoriserions les prétendans évincés, et laisserions entrer, par la frontière ouverte, carlistes et alphonsistes, fusils, poudre et chevaux. Ces tactiques tortueuses n’étaient pas de notre goût : nous les jugions avilissantes. Elles avaient, en outre, l’inconvénient de rendre l’affaire espagnole, ce que nous ne voulions point parce que Bismarck le voulait. En effet, le gouvernement du prince Léopold n’eût pas assisté bouche close à nos machinations ; il se fût plaint, nous eût sommés d’y mettre un terme, eût répondu à l’hostilité par l’hostilité. Dans ce conflit, la Prusse serait intervenue, et nous tombions dans une guerre contre l’Espagne et l’Allemagne réunies.

Le seul parti que nous discutâmes sérieusement fut celui d’une conférence. Si, avant le 20 juillet, date où devaient se réunir les Cortès, nous avions pu la convoquer, nous eussions certainement adopté ce parti, car le premier acte des puissances aurait été d’exiger de l’Espagne qu’elle reculât la date de l’élection et nous donnât ainsi le temps de nous retourner. Mais l’Espagne et la Prusse auraient d’accord refusé cette conférence ; l’Espagne aurait invoqué son droit de nation indépendante à se régir comme il lui convenait, et la Prusse l’aurait d’autant plus soutenue qu’elle avait constamment repoussé le contrôle de l’Europe dans les arrangemens intérieurs de l’Allemagne. Les autres puissances auraient, avant de s’engager, discuté le programme à soumettre aux plénipotentiaires, d’où échanges de notes, de dépêches, de dupliques et de tripliques et des jours et des jours employés en pure perte. Au milieu de tout ce papier griffonné en vain, le 20 juillet serait arrivé et, comme Prim poussait son affaire à plein collier, nous aurions appris à la fois que les Cortès avaient élu le prétendant prussien, que celui-ci, plein de reconnaissance et de zèle, avait pris possession sans délai de son nouveau royaume. Et par cette voie comme par les