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fortement organisée et sûre d’elle-même ; comment pouvez-vous croire que Bismarck, que tout le monde, quoi qu’il dise, considérera comme l’auteur de cette trame, consentira à se désavouer ? Mais ce serait pour lui un désastre diplomatique qui le précipiterait en un seul jour du haut de son piédestal de 1860 ! Vous adresserez-vous à l’Europe afin qu’elle pèse sur sa volonté ? Mais où trouverez-vous l’Europe ? Gortchakof est entièrement à lui ; Granville et Gladstone le sont à moitié ; Visconti ne l’effraye pas, et il ne tient nul compte de Beust. Vous n’auriez qu’une chance, c’est qu’il fût trahi par un de ses deux complices, Prim ou Léopold de Hohenzollern ; mais vous ne pouvez pas l’espérer, car il a dû se les attacher par des engagemens solides. D’ailleurs, si cette trahison inattendue le surprenait, soyez certain qu’il se relèverait, et que, d’un coup de boutoir, il renverserait toute votre œuvre diplomatique. Il veut une guerre ; elle lui est nécessaire et, quoi que vous tentiez, il l’aura. Essayez cependant, car une belle tentative, même infructueuse, ne peut que vous honorer. » La manière dont nous avions été accueillis à Madrid et à Berlin, le 4 juillet, justifiait bien le pessimisme de ce diplomate. Cependant nous nous obstinions à vouloir négocier sans savoir comment.

Gramont et moi avions dégagé les règles internationales ; l’Empereur avait approuvé nos conclusions théoriques ; cela ne nous avançait guère : il y avait à trouver le moyen de ne pas tomber dans le précipice au bord duquel nous avaient acculés la précipitation de Prim et le persiflage de Thile. Le 5, à dix heures du matin, l’Empereur nous appela à Saint-Cloud, Gramont et moi, pour en délibérer. Si nous n’avions cherché qu’un prétexte de guerre, la conversation eût été courte : nous tenions ce prétexte, et le mettre en œuvre ne nous eût pas été difficile. Mais si nous étions décidés à repousser la candidature Hohenzollern, fût-ce par une guerre, nous désirions passionnément que cette candidature disparût sans guerre.

Beust, dont on nous a vanté la prudence, nous proposait un plan fort original : le gouvernement français déclarerait que, se sentant blessé par le procédé de la Prusse, le moins qu’il pût faire était d’interdire au prince Léopold de traverser son territoire pour se rendre à Madrid. Le prince candidat, ne pouvant passer par la France, s’embarquerait nécessairement, soit sur la Méditerranée, soit sur la mer du Nord ; le gouvernement