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A Berlin, la démarche de Gramont n’eut pas meilleure fortune. Le 4 juillet, Lesourd se rendit chez Thile. Au premier mot sur la candidature Hohenzollern, Thile l’interrompit avec une vivacité singulière : « S’il était chargé de provoquer officiellement de sa part des explications sur le fait qu’il lui signalait, dans ce cas, il devait, avant de lui répondre, prendre les ordres du Roi. » Lesourd répondit qu’il ne prétendait pas donner actuellement à sa démarche cette portée solennelle, mais que, connaissant l’émotion qu’avait causée à Paris la nouvelle dont il l’entretenait, il avait seulement en vue d’édifier le duc de Gramont sur la part que le gouvernement entendait assumer dans la négociation qui venait d’aboutir. Alors Thile, un des membres du Conseil de ce 15 mars, dans lequel avait été résolue la candidature, avec un ton d’indifférence qui ressemblait à de l’ironie, affecta la plus complète ignorance : il avait, il est vrai, lu parfois le nom du prince Hohenzollern parmi les candidats au trône d’Espagne, mais il avait attribué si peu d’importance à ces rumeurs qu’il en était encore à se demander auquel des deux princes elles se rattachaient, au prince héritier, époux d’une princesse portugaise ou au prince Frédéric, major de cavalerie dans l’armée prussienne ; le gouvernement prussien ignorait complètement cette affaire ; elle n’existait pas pour lui ; en conséquence, il n’était pas en mesure de donner au gouvernement français des explications ; les hommes d’Etat et le peuple d’Espagne avaient le droit d’offrir la couronne à quiconque leur convenait et à la personne seule, à qui l’offre avait été faite, il appartenait d’accepter ou de refuser[1].

Lesourd s’imagina que Thile était gêné parce qu’il n’avait pas encore les instructions du Roi et de Bismarck, et qu’il eût parlé autrement s’il les avait eues. En réalité, Thile ne parlait qu’en vertu d’instructions formelles du Roi et de Bismarck. Sa réponse, selon Schultze, résultait du plan bien mûri de Bismarck de faire en sorte que l’indignation française ne pût trouver personne en Prusse pour répondre à ses réclamations avant que l’affaire fût arrivée à sa conclusion à Madrid[2]. Bismarck a indiqué de son côté la raison pour laquelle, par l’organe de Thile, il nous renvoyait à l’Espagne : « Il était difficile, dit-il, pour la France de trouver un prétexte de droit public pour intervenir dans l’élection d’un

  1. Lesourd à Gramont, 4 juillet. — Loftus à Granville, 6 juillet.
  2. Voir également Leuzi, Bismarck, p. 52, 345.