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parlé, mais en s’arrêtant au premier démenti, dans la persuasion que si jamais ces princes, auxquels il témoignait tant d’affection, concevaient une pareille idée, il en serait instruit par eux-mêmes. Ainsi que me l’a écrit l’Impératrice : « La candidature du prince a éclaté comme une bombe, sans préparation. » L’Empereur fut plus affligé encore que mécontent de cet acte de déloyauté auquel il ne s’attendait pas. Il autorisa Gramont à envoyer à Madrid et à Berlin deux dépêches d’exploration.

Au sortir de Saint-Cloud, Gramont passa chez Olozaga ; il ne le rencontra pas. Il vint à la Chancellerie, où il ne me trouva pas non plus. Le 3 juillet était un dimanche, et j’étais allé dans une petite commune de Seine-et-Oise, Egli, chez mon chef de cabinet et ami Adelon, assister au baptême d’une cloche dont ma femme était la marraine. A mon retour, au soir de la seule journée de repos que j’eusse goûtée depuis plusieurs mois, je trouvai la lettre suivante de Gramont : « 3 juillet, 10 heures du soir. Mon cher Ollivier, je vous écris sur votre bureau pour vous dire que je suis venu vous informer que Prim a offert la couronne au prince de Hohenzollern qui l’a acceptée. C’est très grave ! Un prince prussien à Madrid ! J’ai vu l’Empereur, il en est très mécontent. Tout en restant officiellement et ouvertement dans notre rôle d’abstention, il faut faire échouer cette intrigue. J’aime à croire et je suis tenté de croire qu’Olozaga y est étranger, mais, à Madrid, on s’est joué de Mercier. Dès demain nous commencerons dans la presse une campagne prudente mais efficace. A demain pour plus de détails. J’ai été chez Olozaga, mais n’ai pu le rencontrer. Tout à vous. »

En lisant cette lettre, je fus plus ému que Gramont ne l’avait été en l’écrivant. J’éprouvai un violent mouvement de colère et de désespoir. Depuis quatre ans à la tribune, depuis sept mois au ministère, je m’efforçais péniblement d’écarter tout sujet de froissement, d’apaiser les incidens désagréables entre la Prusse et nous par la patience et les bons procédés, à écarter définitivement cette guerre anticivilisatrice que tant de gens proclamaient inévitable. Voilà que tout à coup Prim et Bismarck venaient détruire ce que j’étais si péniblement en train de gagner et, me prenant sur le rivage où j’espérais enfin respirer, me précipitaient au milieu des flots. Peines perdues ! Les plus lamentables pressentimens m’assaillaient : « C’est Bismarck, me disais-je, qui a machiné cette candidature ; dès lors, quoi que nous fassions, il