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définitivement rompues, et Beethoven, depuis ce moment, n’avait plus revu son « immortelle bien-aimée. »

Résumé de cette façon, le récit de Mariam Tenger confirmait, fort à propos, l’hypothèse de Thayer ; mais l’auteur de la brochure, apparemment, avait tenu à orner et à « étoffer » les « communications personnelles » de la comtesse Brunsvick, car sa longue narration de ce roman d’amour était toute semée d’erreurs monstrueuses, dénotant l’ignorance la plus complète de la personne, des actes, et même de la signification artistique de Beethoven. Si bien que le mystère, loin d’être éclairci, menaçait de devenir plus obscur que jamais. On découvrait, par exemple, que la prétendue fiancée du musicien était bossue, ce qui ne justifiait guère l’enthousiasme passionné de la lettre. On s’apercevait que Giulietta Guicciardi et Thérèse Brunsvick n’étaient pas les seules jeunes femmes que Beethoven eût connues familièrement : il y avait une demoiselle Thérèse Malfatti, une demoiselle Amélie Sebald, dont les beaux yeux l’avaient, un moment, touché. Et tout porte à croire que le doute aurait indéfiniment continué, sur la destinataire de la lettre du « 6 juillet, » si une savante et infatigable dépouilleuse d’archives, Mme La Mara, n’avait résolu de déchiffrer l’énigme à tout prix, dût-elle parcourir le monde, et dépenser le reste de sa vie à poursuivre son enquête.

Ce beau zèle méritait sa récompense : il l’a eue, et plus ample que Mme La Mara ne pouvait l’espérer. Nous savons à présent, de la manière la plus décisive, que Thayer a eu raison, dans sa conjecture, et que le fond du récit de Mariam Tenger est strictement vrai, sous les fâcheux ornemens dont elle l’a revêtu. Il m’est, naturellement, impossible de songer à reproduire ici l’exposé que nous fait Mme La Mara de ses heureuses recherches, prolongées avec une patience admirable durant un quart de siècle : mais les résultats qu’elle a obtenus défient désormais toute critique, et ajoutent à la biographie de Beethoven un chapitre nouveau, où la connaissance même du génie créateur du maître trouvera son profit. Non seulement une dame dont la mère était l’amie d’enfance de Thérèse Brunsvick a raconté à sa visiteuse l’histoire complète des fiançailles de la jeune comtesse avec Beethoven ; non seulement Mme La Mara a recueilli, à Budapest, des traditions suivant lesquelles Thérèse Brunsvick avait « failli se marier » avec le musicien : les petites-nièces de l’ « immortelle bien-aimée, » dépositaires de tous ses papiers, ont enfin consenti à se départir d’un silence respectueusement conservé jusqu’ici d’après le désir de leur