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Harlem, Bruges, Amsterdam. Tout en portant les sacs de blé du moulin paternel, le jeune Kobus rêve, lui aussi, de belles destinées. A ses heures de loisir, il crayonne de naïves esquisses. Méchans barbouillages ou premières études d’un futur artiste ? Qui le lui dira ? Sur ces entrefaites, et par un de ces hasards où se manifeste la Providence, vient à passer une bande joyeuse, qui n’est autre que l’atelier du fameux peintre de Harlem, Franz Krul. Le boute-en-train de cet atelier est un certain Dirk, franc mauvais sujet, vrai gibier de potence, mais qui sait comprendre et qui aime à deviner les promesses de talent. Dans les esquisses de Kobus, il découvre tout de suite un crayon sincère, cette application à rendre le vrai, cette probité qui est la marque de l’art hollandais à cette époque. Le jeune homme est marqué pour devenir un maître. Il a le don. Ces assurances données par Franz Krul lui-même triomphent de l’opposition du meunier Balthazar. Kobus sera l’élève du peintre de Harlem. Le voilà sur la « route d’éme-raude, » verte comme l’espérance…

Non moins savoureux le deuxième tableau qui nous mène dans l’atelier de Krul. C’est une très pittoresque évocation de la vie d’artiste dans la Hollande d’autrefois. L’artiste d’alors se contentait, le plus souvent, d’être un artisan. Aussi bien en était-il de même chez nous à pareille époque. L’artiste ne s’était pas encore élevé à cette conception qu’il eût à remplir une fonction sociale. Il ne s’était pas avisé qu’il dût être un personnage d’exception, une sorte de monstre tout gonflé de vanité. Il n’avait pas creusé entre lui et le bourgeois ce fossé que notre romantisme d’abord, et le snobisme ensuite, n’ont cessé d’élargir. Quand le bonhomme Krul vient d’achever une commande, et de livrer un chef-d’œuvre, il s’empresse d’en toucher le prix, en cachette de Mme Krul, la bonne ménagère, et de l’aller écorner au cabaret voisin, en compagnie de bons drilles qui sont ses élèves et dont il fait ses camarades. Rembrandt vient à passer, le temps de débiter un ingénieux couplet sur les mérites du clair-obscur et sur la poésie de l’ombre. Ainsi vont les choses et les gens dans cette atmosphère calme où chacun ne cherche qu’à donner toute sa mesure dans une œuvre de patience, de franchise et d’art robuste… Pour ma part, j’ai pris à ces deux tableaux un plaisir extrême. Mais ce ne sont guère en effet que des tableaux ou des « études ; » et nous sommes au théâtre : il faut que le drame s’engage.

La comédie de mœurs tourne maintenant au roman picaresque. Nous avons vu le petit Kobus s’éprendre d’une belle fille, qui est le « modèle » de l’atelier. Au prix des attraits vainqueurs de l’insolente