Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/453

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

funérailles, calamités, la douleur lui enlève le souci du mot juste et la rend insensible à la propriété des termes.

Il va sans dire qu’Héraklès revient à point pour remettre toutes choses dans l’ordre, disperser le bûcher préparé pour ses fils, étrangler Lycos. Il ramène avec lui une dame voilée, qui l’a aidé à sortir de la crypte des sanctuaires égyptiens, et qui s’appelle Lyssa. Celle-ci déclare à Mégara qu’elle a été la maîtresse de son mari, et qu’elle lui demande tout de même asile sous son toit. Voilà bien les mœurs nouvelles et le cynisme de nos temps d’union libre !

Ces deux premiers actes ne servent guère que de préparations. Il s’agissait de nous amener à la situation maîtresse du drame, celle du troisième acte. C’est ici, je pense, qu’il faut chercher l’intention de l’auteur, l’effort de son œuvre, et l’âme de sa pièce. La scène représente le temple de Zeus, paré comme aux grands jours. Les prêtres se mettent en devoir de fêter le retour d’Héraclès, et tout est prêt pour le sacrifice. Quelle n’est pas la stupeur universelle, lorsque le nouveau Polyeucte repousse les vases sacrés, renverse les instrumens du sacrifice, et prononce une harangue humanitaire ?


Que chaque nation garde son harmonie !
Que la guerre s’éteigne en la paix infinie !
Que le glaive sanglant se rouille aux arsenaux !
J’ai fini mes impurs et radieux travaux.
Je vous remets à tous la science parfaite ;
Pour la première fois, qu’on célèbre la fête
Du bonheur sans remords, du triomphe sans fin !
Je proscris la douleur, la cruauté, la faim !
Plus d’esclavage, plus de tyran, plus de haine !
La superstition, s’évapore, ombre vaine…
Les dieux menteurs sont morts dans leurs temples étroits
Et l’homme est libre enfin du dogme et des effrois.


Nous partageons l’ahurissement de l’hiérophante. On nous a changé notre Hercule en voyage. Celui que nous connaissions était un soudard sans méchanceté, mais un peu rude. Fier de ses biceps, il ne se piquait pas d’être un intellectuel. Il vous avait ses poings pour argumens et concluait un syllogisme d’un coup de sa massue. Il ne dédaignait pas l’agrément d’un bon repas, et, quand il était gris, il chantait à tue-tête, comme cela lui arriva, dans le palais où la noble Alceste venait de mourir. En prenant un autre nom, il a pris d’autres mœurs. C’est Héraklès président de la Ligue des droits de l’homme…

Nous ne sommes pas au bout de nos étonnemens. Le roi de Thèbes dépose sa couronne et son glaive. Il abdique. Il fait sa nuit du 4 août.