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construire, il importe de se rappeler que Montaigne citait volontiers avec beaucoup de fidélité les auteurs dont il s’inspirait. On trouve dans les Essais des phrases presque textuellement copiées des livres qu’il aimait ; ailleurs, ce ne sont que des allusions mais des allusions si précises qu’on en peut quelquefois indiquer la source avec certitude. Comme en outre Montaigne parlait avec plaisir de ses lectures et nous a donné ses impressions sur beaucoup d’entre elles, une semblable entreprise avait des chances sérieuses d’aboutir. Elle avait été commencée, et bien commencée, par des annotateurs des Essais comme Coste et Victor Leclerc ; il ne fallait que continuer avec plus de précision et plus de patience.

Mon premier soin a donc été de transcrire intégralement en Braille l’œuvre de Montaigne. Ma collection des Essais comporte une vingtaine de volumes. J’ai pu dès lors très aisément et sans aucun secours étranger les étudier en eux-mêmes, m’en pénétrer, les mettre en fiches. Mes fiches, rédigées en Braille, bien entendu, se distinguaient en trois catégories : sur celles du premier groupe s’inscrivaient toutes les idées qui sont exprimées dans les Essais ; sur celles du second groupe, toutes les images, les expressions caractéristiques, les figures, en un mot, toutes les particularités de style ; au dernier groupe étaient réservés les exemples historiques, les anecdotes et les récits de tout genre qui pullulent dans les Essais. Puis ces trois amas de fiches ont été classés, chacun séparément, suivant l’ordre alphabétique, et placés dans une caisse volumineuse qui, pendant plusieurs années, est restée constamment à la portée de ma main.

Toutes ces fiches étaient rédigées en relief, en caractères Braille. Le mot caractéristique de chacune d’elles, celui qui servait à lui assigner sa place dans le classement alphabétique était inscrit à l’extrémité inférieure ; et ainsi, toutes étant disposées la tête en bas et sur un plan légèrement incliné, il me suffisait de promener rapidement les doigts sur la tranche qu’elles me présentaient pour découvrir immédiatement dans ces piles considérables la fiche dont j’avais besoin. La recherche ne me prenait pas plus de temps, je crois, qu’elle n’en eût demanda à un œil exercé. Placé devant mes casiers, je n’avais plus dès lors qu’à relire les livres que Montaigne avait pu connaître. Chaque fois que j’étais frappé par une idée, une image, un exemple que j’avais rencontré dans les Essais, j’étendais la main vers la fiche où ce détail était inscrit. Celle-ci découverte me renvoyait à la