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L’exécution est merveilleuse ; et l’intention, nous la voyons bien : l’auteur ne s’est point proposé sans doute de nous montrer ce qu’était l’enfant, mais beaucoup plutôt de nous révéler ce que sera l’homme. La vérité du récit n’importe guère auprès de sa signification. M. Rudyard Kipling veut évidemment que nous regardions de telles figures avec une lunette qui les grandisse et qui les éloigne. Nous les reconnaîtrons alors : ce sont ces officiers de l’armée coloniale que nous avons déjà vus, ces administrateurs civils, ces « bâtisseurs de ponts » qu’il nous montre dans d’autres livres. Et il est curieux, certes, de les observer ici « en préparation. » Nous en aurons tout loisir si nous voulons bien prendre la peine de lire le volume que M. Rudyard Kipling a consacré à la vie de collège. Ce n’est pas un roman, mieux vaut peut-être en prévenir le lecteur. Ces épisodes détachés, qui mettent en scène des adolescens, n’ont rien à voir avec « l’éveil du printemps, » est-il besoin d’en avertir les amateurs de psychophysiologie ? Stalky, Beetle et Me Turk, c’est la réplique, si je puis dire, réduite et transposée, des « Trois Mousquetaires » du même auteur, trois héros de demain, qu’il n’est pas loin d’estimer des héros d’aujourd’hui, à leur manière. Et cette manière, il pense bien qu’elle est la bonne. « L’Inde est pleine de Stalkys, — de gaillards sortis de Cheltenham, de Haylebury, de Marlborough, que nous ne connaissons pas du tout. L’étonnement commencera quand il y aura vraiment une grande querelle. Figurez-vous seulement Stalky lâché dans le sud de l’Europe avec un nombre suffisant de Sikhs et une bonne perspective de butin. Pensez-y tranquillement[1]. » Voilà bien à quoi il faut penser, en effet, si l’on veut comprendre ce livre et en mesurer la portée. Ces mœurs de collège nous laisseraient en elles-mêmes assez indifférens, et le détail en est plutôt fastidieux, quand il s’étale au long de trois cents pages. Quel plaisir y ont donc trouvé les lecteurs anglais ? Quel intérêt y pouvons-nous trouver à notre tour ? M. Rudyard Kipling n’a pas laissé à notre sagacité le soin de deviner ses intentions, il ne nous a pas caché ses prétentions. Il ne se contente pas de nous laisser entendre, mais il nous dit et nous répète, ou à peu près : « Voilà les garnemens qui seront demain notre meilleure force, les plus sûrs ouvriers de notre grandeur ; à ce titre, ils méritent bien que vous les regardiez. »

  1. Voyez le dernier chapitre de Stalky and Co : La Lampe merveilleuse, 2e partie, — qui pourrait être intitulé : Quinze ans après.