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du couvent de Newsky la dépouille de Pierre III. Il la fait transporter à côté de celle de Catherine et lui fait rendre les mêmes honneurs, en laissant entendre que c’est en manière de reproches contre elle. Les personnages dont vivante elle s’était entourée sont frappés de disgrâce et ceux qui formaient la petite cour de Paul à Gatchina deviennent tout-puissans. Il procède à ces changemens avec brutalité ; il exige de ses fils qu’ils ne comparaissent devant lui que revêtus de leur uniforme militaire ; il ordonne à ses belles-filles d’abandonner le costume russe, de rigueur sous Catherine, et de porter des robes de Cour. Comme elles se présentent couvertes de leurs pelisses, il les leur fait ôter. — Vous les remettrez dans l’antichambre, mesdames, et pas avant, leur dit-il d’un ton sec qui traduit sa mauvaise humeur.

Il ne semble préoccupé que de ces menus détails. Il est visible que la mort de sa mère ne lui inspire aucune douleur, et la grande-duchesse Elisabeth s’indigne intérieurement de lui voir « un air si satisfait, si content de toutes les bassesses que lui prodiguent ses courtisans. » Quoiqu’il affecte d’être bien disposé pour elle, il ne lui épargne aucune humiliation. La nouvelle impératrice se prodigue en procédés analogues. Dépourvue d’esprit et de fermeté, « elle se conduit dans toutes les occasions un peu sérieuses sans aucun sens juste » et le grand-duc Alexandre, irrité, répète à tout instant à sa jeune femme que sa mère ne sait pas se conduire, qu’elle ne fait que des bêtises. A Moscou, le jour du couronnement, la grande-duchesse a mis à son corsage un bouquet de roses. Lorsque, avant la cérémonie, elle entre chez l’Impératrice, celle-ci le lui arrache et le jette à terre, en disant que cela ne convient pas. Ainsi se creuse chaque jour davantage le fossé qui bientôt isolera Paul de sa famille, de sa femme elle-même, car avant peu, elle encourra ses soupçons comme tous ceux qui l’entourent.

Il est facile d’imaginer combien souffre de ce nouveau genre d’existence la grande-duchesse Elisabeth et l’effet pénible qu’elle en ressent. Cependant, au milieu de ses tristesses, le ciel lui a réservé une consolation. Son mari, qui les subit comme elle, puise dans cette communauté d’infortune un ardent désir de la quitter le moins souvent qu’il peut. Il devient plus confiant, plus tendre. Le règne despotique de Paul Ier constitue peut-être, pour la jeune femme, la période la plus heureuse de