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douloureuse pour elles. Mais, dans les familles royales, les filles sont élevées en vue d’une expatriation plus ou moins lointaine et, si celle qui était prématurément imposée à Louise et à Frédérique les enlevait trop vite et trop tôt aux joies du foyer familial, on ne pouvait méconnaître que c’était pour leur bien. Celle des deux sur laquelle s’arrêterait le choix du grand-duc Alexandre, porterait un jour le diadème ; protégée par l’Impératrice, l’autre avait chance de monter aussi sur un trône. La décision de leurs parens s’inspira de ces perspectives et ils adhérèrent au projet qui leur était soumis.

Dans la seconde quinzaine d’octobre 1792, les princesses, accompagnées de leur gouvernante, étaient confiées à la comtesse douairière Schouvaloff et au chambellan Strélakoff, et, après avoir échangé de tendres et déchirans adieux avec leur famille, que l’une d’elles ne devait plus revoir, elles se mettaient en route pour la Russie. Le 1er novembre, elles étaient à Riga. C’est de là que, le même jour, la princesse Louise écrivait à sa mère la première des lettres que publie le grand-duc Nicolas et qui permettent de la suivre aux diverses étapes de son existence nouvelle.

Dès ce moment, dans l’enfant qu’elle est encore, commence à se montrer la femme intellectuellement et moralement supérieure qu’elle sera plus tard. A peine échappée à la tutelle familiale, sa personnalité se précise, son esprit se manifeste, sa faculté d’observation s’accentue. Pour que nous soyons convaincus que ce sont là les lettres, les appréciations, les remarques d’une fille qui n’a pas encore quinze ans, il faut que son acte de naissance nous l’affirme. Ses paroles, ses actes, toute sa conduite en un mot, sont à l’éloge de son éducation, de son savoir, révèlent sa maturité précoce, sa pureté virginale, sa droiture naturelle, son équilibre moral et justifient par avance ce que, plus tard, quatre ans après son mariage, Rostopchine écrira en parlant d’elle : « Plus je vois la grande-duchesse Elisabeth, et plus je lui trouve une raison étonnante pour son âge. » Étonnante, en effet, car lorsqu’il porte ce jugement, la princesse n’a pas encore atteint sa vingtième année.

Avec sa sœur, elle était arrivée au terme de son fatigant voyage, dans la soirée du 11 novembre 1792. « Lorsqu’en entrant dans la ville, écrit-elle, on s’écria : Nous voilà à Saint-Pétersbourg ! d’un mouvement spontané, nous nous prîmes la main