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communistes, ce sont des possibilités (ou peut-être des impossibilités) indûment présentées comme un terme marqué d’avance à l’évolution.

Pour s’excuser de n’avoir établi scientifiquement ni que le socialisme est désirable, ni qu’il est possible, ni par quels moyens, les socialistes disent avec Marx, Bernstein et, tout récemment, avec M. Lagardelle : « Le socialisme n’est pas un système, c’est un mouvement. » Formule spécieuse, qui, à y regarder de près, n’a guère de sens. Qu’est-ce qu’un mouvement sans une direction déterminée ? L’anti-socialisme est aussi un mouvement ; qu’est-ce qui le distingue, sinon le point vers lequel il tend ? Réclamer et prédire l’abolition de la propriété privée, l’établissement de la propriété collective, le renversement de la société présente, ce n’est pas un « système ? » Qu’est-ce qui sera donc un système ? L’entière subordination de tous les faits sociaux, même intellectuels, moraux et religieux, aux faits économiques, ce n’est pas un système ! La lutte des classes et la divinisation finale de la classe prolétarienne, ce n’est pas un système ? La théorie de la plus-value, l’abolition de tout profit, de tout revenu, de tout intérêt, de toute rente, etc., etc., ce n’est pas un système ? La vérité est que le collectivisme est un édifice idéal construit avec des données incomplètes, dans une région « utopique » et « uchronique, » au sens propre des mots. C’est le plus système de tous les systèmes ; c’est presque le système en soi. A moins que vous n’entendiez par mouvement socialiste une vague inquiétude du mieux : il se réduira alors à : « J’aspire. » Encore faut-il aspirer à quelque chose et, s’il s’agit d’améliorer le sort du peuple conformément à la justice, qui donc, sinon les égoïstes et les lâches, n’aspirera pas à ce progrès sans fin, devoir pour tous ? Comme système, le collectivisme est en dehors de la science ; comme a mouvement, » il se perd dans tous les mouvemens vers le mieux qui agitent notre époque.

Après avoir invoqué l’évolution pour motiver le droit au silence sur les voies et moyens de la société future, les socialistes actuels invoquent la « révolution » pour renverser la société présente, pour opérer la grande « liquidation sociale, » la redistribution universelle[1]. Les révolutionnaires veulent

  1. Beaucoup de collectivistes ont même une telle horreur des institutions et progrès qui pourraient rendre cette révolution inutile, que, à propos de l’exposition des œuvres philanthropiques, le chef du marxisme en France. M. Jules Guesde s’écriait : « Cette véritable exposition, dans le sens judiciaire et infamant du mot, ne fera que fournir au prolétariat humilié et volé de nouvelles raisons et de nouvelles forces pour suivre sa voie révolutionnaire. (La Lanterne du 26 août 1898.) » Nous doutons que ce soit là de la « science. » Nous ne trouvons rien d’infamant dans les millions que, de toutes parts, la philanthropie apporte aux malheureux de Messine. Quel État, même collectiviste, aurait osé leur voter tous ces millions que l’initiative individuelle leur prodigue ?