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nos maux viennent de la mauvaise organisation de l’État, que cette organisation elle-même est l’œuvre du mauvais vouloir des possédans. C’est ainsi que, au XVIIIe siècle, ou expliquait les religions par l’imposture des prêtres, par leur dessein d’exploiter les masses. La critique scientifique, en sociologie comme dans l’histoire des religions, ne consiste pas à expliquer tout par la mauvaise volonté des propriétaires ou par celle des prêtres. Les choses sont moins simples : le déterminisme qui les a produites est d’une complexité infinie.

Par le recours perpétuel à l’Etat ou à la société, nos socialistes déplacent la difficulté sans la résoudre. Qui a dirigé les plus mordantes satires contre le « laissez faire ? » Les socialistes. Ils ne s’aperçoivent pas qu’ils le prêchent tout autant que les économistes, quoiqu’en sens opposé. Laissez faire les individus, disaient les économistes, et vous verrez les touchantes harmonies qui résulteront de leur libre action. Là-dessus, les socialistes de se récrier, en rappelant tous les conflits qui remplacent de fait ces harmonies. Mais ils ajoutent à leur tour : Laissez faire la société, c’est-à-dire l’Etat, — comme autrefois on disait l’Eglise, — ou le grand conseil des Fédérations, et vous verrez les chefs-d’œuvre qu’on réalisera. Les individus n’auront plus à se faire concurrence, la société choisira pour eux, déterminera leur tâche et la rémunération de leur tâche, laissez faire ! Les individus n’auront même plus besoin de cette moralité qui leur impose effort, privation, oubli de soi-même et sacrifice ; la société, elle, accomplira la besogne : laissez faire ! Tout comme les économistes qui croient à l’infaillibilité des lois naturelles, les socialistes croient à l’infaillibilité des lois humaines ou, si l’on abolit les lois, des règlemens syndicalistes.


III

Dans le passage à la pratique, le socialisme actuel admet deux méthodes opposées, l’une évolutionniste, l’autre révolutionnaire. Demande-t-on ce que sera la société future, les socialistes déclarent qu’ils n’ont pas à le dire, parce qu’on ne peut prévoir les résultats précis d’une évolution naturelle. Du temps de l’esclavage, on ne prévoyait pas le servage ; du temps du servage, le salariat. Comment sera organisée la société future,