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Les socialistes reprochent à la méthode de beaucoup d’économistes d’être « conceptuelle » et « idéologique, » de ne procéder ni par la vraie abstraction scientifique, ni par la vraie démonstration, ni par la vérification, mais par des conceptions a priori, que l’on combine ensuite sans en montrer l’accord complet avec l’expérience. Ces objections sont vraies de beaucoup de systèmes économiques, comme nous l’avons montré tout à l’heure, mais nous allons voir qu’elles s’appliquent aussi aux systèmes socialistes, encore plus éloignés du réel.

L’abstraction scientifique, nécessaire à la sociologie comme à toutes les sciences, consiste à séparer un groupe de faits ou de relations, afin de le mieux étudier. Partie de l’expérience, elle revient sans cesse à l’expérience, pour modeler les idées sur les faits, puis les faits sur les idées. Les conceptions de l’esprit valent par leur correspondance avec la réalité et dans la mesure où la réalité les vérifie. Est-ce cette méthode vraiment sociologique qu’emploient les socialistes actuels ? Ils partent d’abstractions et d’idées formées par l’esprit, telles qu’une parfaite répartition qui donnerait à chacun exactement « le produit intégral de son travail. » Ils partent aussi d’un idéal de l’administration collective, qu’ils supposent capable de gérer les biens de tous sans toucher aux personnes. Dans un discours à la Chambre, M. Jaurès se demandait : « Qui administrera le vaste domaine constitué par l’expropriation capitaliste ? » Et il répondait : « L’État démocratique, assisté du peuple tout entier. » Ces majestueuses entités touchent quelque peu à la mythologie. Les faits naturels de la concurrence, de l’offre et de la demande, de la valeur établie par leur rapport, ne sont pas toute la réalité, mais sont des élémens essentiels de la réalité ; beaucoup de socialistes y substituent un idéal de valeur absolue ou aussi voisine que possible de l’absolu, qui s’établirait uniquement d’après le « travail » et le « mérite » de chacun. « La quantité du travail, écrit Marx, a pour mesure sa durée dans le temps. Le travail qui forme la substance et la valeur des marchandises est du travail égal et indistinct, une dépense de la même force. » Voilà une métaphysique à l’allemande où l’on joue avec des termes abstraits. Qu’est-ce que la substance d’une maison par exemple ? Est-ce seulement le travail humain ? La nature, qui a fourni la substance des pierres, du marbre, du bois, du fer, n’est-elle pour rien dans la valeur du produit ? Qu’est-ce qu’un