Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/241

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jet, entre Saint-Pétersbourg et Constantinople, de négociations toujours pendantes. L’explication ne valait peut-être pas grand’chose ; mais il faut la juger d’après les intentions du gouvernement russe, qui étaient excellentes. En somme, Ferdinand de Bulgarie a été reçu comme s’il était roi d’un pays inconnu, dont le protocole n’avait pas encore découvert l’emplacement exact sur la mappemonde. Tout cela a été fait par à peu près, avec des tâtonnemens et des réticences. Le gouvernement russe s’est tiré d’affaire tant bien que mal, et on s’est contenté, à Constantinople, des éclaircissemens qu’il a donnés ; mais on y aurait préféré tout de même qu’il se fût débarrassé avec courtoisie du prince Ferdinand et lui eût conseillé d’ajourner son voyage jusqu’au moment où il aurait pu, sans froisser personne, déposer une couronne sur la tombe du grand-duc Wladimir.

L’incident était d’autant moins opportun qu’il y avait depuis quelques jours à peine un nouveau ministère à Constantinople : Kiamil Pacha venait d’y être remplacé au grand-vizirat par Hussein Hilmi Pacha, ministre de l’intérieur, ancien inspecteur des réformes en Macédoine. L’origine de la crise est restée en partie mystérieuse. Kiamil Pacha ne s’étant pas expliqué devant la Chambre, on ne sait pas exactement à quels mobiles il a obéi : on peut tout au plus les deviner. Au demeurant, les jours ministériels de Kiamil étaient probablement comptés : il était difficile de maintenir longtemps au pouvoir, pour y représenter la Jeune-Turquie, un homme de plus de quatre-vingts ans, personnellement honnête, mais dont l’entourage avait largement profité des abus de l’ancien régime, le seul dont les procédés lui fussent familiers. Kiamil, à un âge aussi avancé, pouvait-il se faire, comme on dit aujourd’hui, une mentalité toute neuve, et devenir un premier ministre parlementaire après avoir été, à maintes reprises, le représentant de l’autocratie d’Abd-ul-Hamid ? Si on l’avait cru, on n’a pas tardé à s’apercevoir qu’on s’était trompé.

Un beau jour, Kiamil a renvoyé deux ou trois de ses ministres, entre autres ceux de la Guerre et de la Marine, qui avaient la confiance de la Chambre et qu’aucun vote parlementaire n’avait atteints. Pourquoi ? Le motif indiqué par les journaux, ou plutôt par des notes officieuses reproduites par les journaux, était un prétendu complot contre le Sultan, qui devait être remplacé sur le trône par le prince Youssouf Izzeddine. En réalité, il n’y avait pas de complot du tout, et les ministres disgraciés n’avaient donc pas pu s’y mêler. Il semble que Kiamil Pacha n’ait su prendre, dans nos mauvaises mœurs politiques