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à suivre la routine ou à appartenir à une coterie maritime, car il y en a. Le nouveau ministre avait le mérite d’être plus indépendant, au moins par son origine, et on lui a ouvert tout d’abord un crédit de confiance. Homme de travail et de conscience, M. Picard s’est mis à la tâche sans parti pris, et n’a pas tardé à reconnaître les insuffisances dont souffre notre marine. Les ayant reconnues, il les a signalées avec courage, ce qu’aucun de ses prédécesseurs immédiats n’avait fait. Ceux-ci, sans doute, avaient quelquefois avoué et déploré une partie du mal, mais ils n’y avaient pas remédié : il aurait fallu pour cela demander des crédits aux Chambres, et c’est ce qu’aucun d’eux n’a osé faire. Tous ont reculé devant les résistances qu’ils craignaient de rencontrer, et qu’ils préféraient ne pas affronter. M. Picard, lui, a été plus préoccupé de sa responsabilité devant le pays et devant l’histoire, si certaines hypothèses venaient à se réaliser, que des accidens parlementaires qui, en mettant les choses au pis, n’atteindraient que sa personne, et il a dit la vérité.

Cette vérité est lamentable. Il y a encore peu d’années, nous avions la seconde marine du monde : nous sommes tombés aujourd’hui à un rang que nous aimons mieux ne pas préciser, mais qui n’est certainement pas en rapport avec les obligations de notre politique générale, c’est-à-dire avec les intérêts que nous avons à défendre sur la surface du globe. Il faut donc de deux choses l’une, ou changer notre politique, l’amoindrir, la rapetisser, ou lui restituer l’instrument d’exécution dont elle a besoin. Toutefois n’anticipons pas sur l’avenir : ce n’est pas encore tout à fait ainsi que la question se pose en ce moment. Il ne s’agit pas de savoir si nous aurons la flotte qui convient à notre politique, mais bien si notre flotte actuelle, telle qu’elle est constituée, est utilisable : M. Picard vient nous dire qu’elle ne l’est pas. Nous avons construit des cuirassés, des croiseurs, des sous-marins, etc., n’oubliant qu’une chose, à savoir de mettre nos ports de guerre en rapport avec cet outillage nouveau, et d’assurer à celui-ci les approvisionnemens qui lui sont indispensables pour fournir l’effort que nous en attendons. Avec les procédés méthodiques dont il a l’habitude, M. Picard a fait l’inventaire de ce que nous avons et de ce qui nous manque, et il est arrivé à la conclusion qu’il faut 225 millions pour combler cette dernière lacune. Eh quoi ! nous sommes tombés, ou on est tombé pour nous dans une telle incurie que, en cas de guerre, non seulement notre flotte serait inférieure à plusieurs autres, mais encore que nous ne pourrions pas nous en servir ! Il faut le croire puisque M. Picard le dit, et