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marquèrent les étapes de sa vagabonde existence. Sur des gaines se dressent les œuvres plastiques de son âge mûr, statuettes et figures de marbre, auxquelles les critiques d’art d’outre-Rhin témoignent déjà quelque chose de cette complaisance insigne, dont les critiques littéraires se sont montrés tant de fois prodigues à l’égard des écrits du comte de Gobineau. Strasbourg a été choisi pour recevoir ce pieux dépôt parce que « l’Alsace a servi de lien entre les deux cultures française et allemande durant tout le cours de son histoire. »

Sans insister davantage sur un sujet fréquemment traité[1]depuis quelques années, nous dirons l’influence grandissante d’un autre artisan français du germanisme, qui, à en juger par son actuelle réputation chez nos voisins, aura quelque jour, lui aussi, son Verein et son musée en terre germanique. Est-il en effet une voie plus sûre vers l’apothéose ou vers la canonisation que d’avoir appuyé dans son effort l’impérialisme de quelque groupe humain, destiné à connaître, au moins pour un temps, le triomphe ? Servir les passions des hommes, fût-ce de façon inconsciente et involontaire, c’est encore le plus sûr moyen pour trouver le chemin de leurs cœurs !

Les idées de M. Georges Vacher de Lapouge ont été discutées jadis ici même par M. Alfred Fouillée, on sait avec quel talent et quelle autorité[2]. À cette époque, les deux ouvrages principaux de M. de Lapouge n’étaient pas publiés, mais les doctrines qui en font la base avaient été exprimées déjà par l’auteur dans ses cours libres à la Faculté de Montpellier, et résumées dans quelques revues savantes. Son livre sur Les Sélections sociales parut en 1896 ; son étude sur l’Aryen et son rôle social

  1. Signalons pourtant les Studien ueber Gobineau du Dr Fritz Friedrich Leipzig, 1906), œuvre consciencieuse qui marque chez nos voisins un véritable progrès du sens critique à l’égard de notre compatriote. L’auteur, après avoir tout d’abord rendu à notre livre sur Gobineau (Paris, Plon, 1903) une justice presque surabondante, nous reproche une altitude d’animosité qui ne fut jamais la nôtre et entre sans cesse en polémique avec nous ; mais il adopte le plus souvent nos propres conclusions. On voit de la sorte s’opérer un insensible rapprochement entre le jugement de l’Allemagne et celui de la France sur un homme qui fut trop exalté après avoir été injustement négligé. — Le Dr F. Friedrich a également publié des Morceaux choisis de Gobineau dans une collection intitulée : Livres de sagesse et de beauté où l’écrivain français voisine avec Platon, Dante et Darwin. Citons enfin, pour la France, l’excellent travail de vulgarisation de M. Dufréchou (Gobineau, Bloud, 1907) où nous avons retrouvé avec plaisir nos considérations sur l’impérialisme collectif et individuel.
  2. Voyez la Revue des 15 mars et 15 octobre 1895.