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développement continu de leur industrie les met dans un perpétuel état de crise économique qui se traduit par l’accroissement menaçant du nombre des sans-travail. Deux nations rivales, comme l’Angleterre et l’Allemagne, sont dans la nécessité ou de se battre ou de s’entendre, car toujours se menacer n’est pas vivre. On peut espérer que le voyage d’Edouard VII à Berlin, comme le dit le discours du trône, fortifiera entre les deux nations « les sentimens d’amitié qui sont indispensables à leur vie mutuelle commune et au maintien de la paix. » Les périls cependant sont loin d’être tous écartés : les affaires d’Orient sont pleines de pièges parce que l’Orient balkanique et asiatique est un débouché indispensable au commerce européen et parce qu’il y a encore, là-bas, des peuples qui n’ont pas fait leur unité ni trouvé leur aplomb. L’adoption par l’Angleterre d’un régime douanier protectionniste, tel que celui que prône M. Joseph Chamberlain, serait un grand danger pour la paix européenne. Il y en a d’autres, prévus ou imprévus.

La situation de la France, en face de l’Angleterre et de l’Allemagne, est périlleuse, puisqu’elle serait probablement entraînée dans leur conflit ; mais elle est, en même temps, très heureuse, puisqu’il est en son pouvoir, pour une grande part, d’empêcher ce conflit de se produire. Si l’Angleterre voulait devenir agressive, elle ne le pourrait qu’avec le concours assuré de notre armée qu’il dépend de nous de lui refuser ou de ne lui accorder qu’à bon escient. Si c’était l’Allemagne, elle risquerait de se trouver seule contre tous et particulièrement contre la Double Alliance jointe à l’Angleterre. L’excellente assiette de sa vie économique, l’abondance de ses capitaux, la richesse de son épargne, et surtout la force d’une armée et d’une marine qui doivent être toujours prêtes, toujours « au point, » mettent la France dans l’avantageuse situation de pouvoir remplir, entre les deux adversaires, — dont l’une est son amie, mais dont l’autre n’est pas forcément, partout et toujours, son adversaire, — une mission de pacificatrice et d’arbitre. En signant l’accord qui met fin si heureusement au long malentendu entre la France et l’Allemagne au Maroc, M. Pichon vient de démontrer quelle force peut avoir, de notre temps, une politique de loyauté et de droiture pour le maintien de la paix et le triomphe final de la justice.


RENE PINON.