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physionomie, le véritable enjeu et les résultats de cette grande passe d’armes diplomatique. Non seulement l’entente franco-anglaise et l’alliance franco-russe s’y montrèrent inébranlables et en sortirent fortifiées, mais l’Espagne, le Portugal et, quoique membre de la Triple-Alliance, l’Italie, se serrèrent autour du groupe des puissances occidentales, tant les procédés de la diplomatie allemande pour affirmer et imposer sa suprématie avaient alarmé les peuples et les gouvernemens ! Au vote du 3 mars 1907, l’Allemagne n’eut pour elle que la voix de l’Autriche et celle du Maroc. Et ce fut l’Autriche qui proposa la transaction finale qui permit de sortir de l’impasse où l’intransigeance du Cabinet de Berlin avait conduit la Conférence. La séduction et l’intimidation, tour à tour essayées, n’avaient pas été plus efficaces l’une que l’autre. Si Guillaume II s’était flatté que son ascendant personnel enchaînerait l’Italie à sa fortune, entraînerait les petits Etats, neutraliserait le Tsar, attirerait M. Roosevelt, l’expérience était concluante. Les journaux de Berlin avaient posé l’Allemagne en « tutrice des intérêts généraux de l’Europe ; » l’Europe répondait qu’elle n’acceptait aucune tutelle, mais qu’elle entendait maintenir l’équilibre.

Le Cabinet de Londres, poursuivant ses succès et fidèle à sa méthode de réconciliations européennes, chercha à liquider, avec la Russie, les vieux litiges asiatiques pour aboutir à un accord général. « Une main dans l’alliance russe et l’autre dans l’amitié anglaise, » disait le Président Loubet : la France, entre Pétersbourg et Londres, était l’intermédiaire naturel. Déjà, à la Conférence d’Algésiras, le comte Cassini, plénipotentiaire russe, avait eu avec sir Arthur Nicolson et sir Donald Mackenzie Wallace des conversations sur les conditions dans lesquelles une pareille entente serait réalisable. M. Isvolski, arrivé au pouvoir en mai 1906, reprit les entretiens. L’accord fut signé le 31 août 1907 ; il mit fin à cette longue rivalité « de l’éléphant et de la baleine » qui, sans amener de conflit direct entre les deux pays, avait cependant troublé si profondément la politique générale et qui attirait vers les solitudes montagneuses de l’Asie centrale ou vers les mers d’Extrême-Orient l’attention et les forces des deux peuples. La Russie, battue par le Japon, éloignée des mers du Pacifique, n’était plus un péril pour l’intégrité de la Chine ou pour la sécurité de l’Inde ; on pouvait lui faire des concessions en Perse : tel est le sens de l’accord