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Jamais roi d’Angleterre n’a eu une politique plus personnelle et en même temps plus constitutionnelle et plus conforme aux grands intérêts de son pays. Dans la politique intérieure, l’action royale ne s’exerce pas ou n’est pas efficace. On n’a pas oublié sur quel ton rogue toute la presse, y compris le Times, critiqua le Roi lorsque, après la mort de sir Henry Campbell Bannermann, il prétendit, tout en restant à Biarritz, investir de là le nouveau Premier ministre. Chez elle, la Vieille Angleterre entend se gouverner elle-même, par ses mandataires ; mais le domaine de l’action du Roi est à l’extérieur ; l’immense empire a des intérêts multiples, compliqués, qui exigent d’autres méthodes ; la fiction impériale créée par Beaconsfield est devenue une réalité. L’Empire a besoin d’un gardien toujours vigilant : Edouard VII est l’homme de cette fonction. D’instinct, comme l’équipage d’un navire battu par la tempête, la nation anglaise qui a senti passer sur elle, au Transvaal, l’angoisse de la défaite, se serre autour du pilote. C’est lui qui représente au dehors les intérêts de l’Empire et du commerce, sans lesquels l’Angleterre ne vivrait pas ; les ministres ont leurs fonctions et lui les siennes qui sont bien délimitées et qu’il remplit à merveille : il est l’ambassadeur de l’Empire britannique.

Au moment où Edouard VII prenait possession du pouvoir souverain, l’Empire était ébranlé et l’Angleterre n’avait pas d’amis. En Allemagne l’opinion publique était sympathique aux Boërs ; l’Empereur pouvait se souvenir qu’il avait naguère envoyé au président Krüger un télégramme fameux ; il pouvait être tenté d’arrêter l’Angleterre, d’imposer la paix ou de profiter de la guerre. La Russie avait trouvé partout, sur le Bosphore, en Perse, en Chine, la Grande-Bretagne lui fermant les accès de la mer libre : elle pouvait profiter de l’occasion pour porter un grand coup au prestige de son adversaire aux Indes, à Constantinople, en Extrême-Orient. La France avait à venger la récente injure de Fachoda ; elle se souvenait de la jalouse opposition de l’Angleterre à son expansion coloniale, sur le Niger, sur le Congo, sur le Nil, sur le Mékong : elle pouvait réveiller la question d’Egypte, saisir quelque gage, nouer une coalition continentale, constituer une ligue des neutres. Et de fait, ce sera sans doute l’étonnement des historiens de l’avenir que les nations qui croyaient avoir à se plaindre de l’Angleterre n’aient pas saisi cette occasion pour imposer des bornes à son