Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/179

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

interprète chaque discours, chaque voyage de l’Empereur, chaque progrès de sa marine comme un procédé « peu amical » vis-à-vis de l’Angleterre ; le cauchemar d’un débarquement allemand sur les côtes de la mer du Nord trouble la digestion des bourgeois de Londres ; l’Amirauté décide le renforcement des escadres stationnées dans les eaux nationales et l’établissement à Rosyth, en Ecosse, d’une nouvelle base navale ; les hommes d’Etat s’irritent de ce que la presse nomme le « chantage allemand. » Dans la Méditerranée, en Egypte, ils croient reconnaître une intrigue allemande dans les résistances que leur oppose le monde musulman ; à Constantinople l’influence germanique a complètement supplanté celle de l’Angleterre ; elle se manifeste par la concession du chemin de fer de Bagdad. Les deux nations se rencontrent partout comme concurrentes, comme rivales, comme ennemies. Les accords où l’Allemagne lui marchande ses bonnes grâces à un taux usuraire, aussi bien que les chocs diplomatiques qu’aucun accord n’est venu atténuer, contribuent, par leur effet cumulatif, à persuader à l’Angleterre qu’elle n’a plus rien à attendre de l’ancienne amitié allemande ; mais la vieillesse de la reine Victoria et celle de lord Salisbury maintiennent les anciennes traditions diplomatiques. L’avènement d’Edouard VII va donner un autre cours à la politique britannique.


IV

Aux fêtes jubilaires de la reine Victoria, en 1897, le peuple anglais avait célébré lui-même sa propre apothéose ; il avait magnifié son propre génie en exaltant « Sa Gracieuse Majesté ; » dans la rade de Spitehead il avait contemplé avec orgueil ses vaisseaux innombrables ; il avait glorifié la Grande-Bretagne, dans son « splendide isolement, » étendant son hégémonie sur les mers et les continens lointains. Et voici qu’au moment où la souveraine dont le monde disait : « la Reine, » comme jadis, de Louis XIV, il avait dit « le Roi, » descendait au tombeau, le 22 janvier 1901, toute cette gloire et toute cette puissance paraissaient sur le point de s’abîmer dans les steppes solitaires du Transvaal ; l’Europe frémissante découvrait les pieds d’argile du colosse : l’Angleterre anxieuse se demandait s’il suffirait de quelques paysans pour tenir en échec toutes les forces de