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Rappelez-vous, dans Sigurd, l’air déplorable de Hagen, au troisième acte, et le pas guerrier, l’une des pages les plus vulgaires qui soient en musique ; dans Salammbô, le festin des mercenaires, ou telle marche, en charivari, qui veut être barbare et n’y réussit que trop, ou tel autre défilé encore, entre le tableau de la tente et celui du champ de bataille. Comme dit Chimène, « la moitié de moi-même a mis l’autre ai tombeau. » Une moitié de l’œuvre de Reyer était morte avant lui L’autre, l’autre seule, méritera peut-être de lui survivre. L’autre, c’est une partie du second acte de Sigurd et du quatrième également ; c’est, partiellement aussi, le second acte de Salammbô, et, dans le même opéra, la poétique élégie de la terrasse.

Je viens de relire tout cela : parfois avec plaisir, tout cela n’étant pas sans quelque beauté ; souvent avec regret, car, cette beauté même, je me la rappelais plus belle. Et puis, et surtout, elle n’est que d’inspiration et d’instinct. Il lui manque ce que je n’appellerai pas le métier, mais, d’un nom plus noble, le style. Reyer pensait quelquefois hautement ; en musique au moins, — car il fut un critique brillant, — il écrivait d’autre sorte. Dernièrement, dans un ancien compte rendu de Sigurd, à propos de la cantilène du ténor : Hilda, vierge au pâle sourire, je retrouvais ces mots : « Comparez cette phrase à la cavatine de Faust : Salut, demeure chaste et pure. » Eh bien ! non, dans l’intérêt de Reyer, ne faites pas la comparaison. Elle vous apprendrait pourtant quelle est, dans la musique même, la nature et la valeur de ce que nous venons d’appeler le style. Il est vrai qu’en musique, et plus généralement en art, la distinction est plus difficile à faire qu’en littérature, entre l’idée et l’expression, entre le fond et la forme. A première vue, il semble que les deux élémens se confondent. Peut-être néanmoins arriverait-on à les séparer l’un de l’autre. On ferait voir ensuite, sans trop de peine, quels artistes, — et non des moindres, — ont possédé l’un ou l’autre et, comme on dit sommairement, ont eu plus de talent ou plus de génie. Reyer avait peu de talent. Et l’on m’a rapporté que certain critique encourut autrefois son courroux, voire sa rancune, pour avoir écrit de lui : « Ce jour-là, » — était-ce le jour de Sigurd ou celui de Salammbô ? Je croirais volontiers que c’était l’un et l’autre — « ce jour-là, M. Reyer eut presque du génie. » La formule n’avait rien d’injurieux, ni même d’injuste. Elle offensa le musicien vivant, mais elle suffit pour honorer sa mémoire.


CAMILLE BELLAIGUE.