Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/876

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais du minimum de connaissances pratiques nécessaires à l’exercice d’une profession.

Est-ce la peine d’ajouter, après cela, que notre conception désintéressée de la science pour la science n’entre point dans leurs cervelles ? Le savoir, pour eux, est toujours subordonné à l’utilité ou à la religion. Il ne pénètre pas l’homme et ne le façonne point à son image comme une passion ou comme une foi. Et ainsi, même chez ceux qui désirent sincèrement apprendre, la culture européenne n’est qu’un placage extérieur qui se superpose au fond oriental. Interrogez plutôt un éducateur ayant quelque expérience pédagogique, il vous répondra que ses écoliers musulmans se contentent d’un simple vernis d’éducation moderne. Tout le solide de notre enseignement se dérobe à leurs prises. Ils sont fermés à notre musique, bien que, par snobisme, ils affectent une vive admiration pour tel opéra à la mode. En revanche, ils ont des mélodies tout à fait inintelligibles pour nous, parce qu’elles expriment des sentimens originaux qui nous échappent. De même pour notre peinture, notre sculpture, nos arts plastiques. La technique les déconcerte, satisfait mal les exigences de leur œil, ou, quand ils tâtent du métier, répugnent aux habitudes de leur main. Un professeur de Beyrouth, qui me montrait des dessins de ses élèves, me disait la difficulté extrême qu’il éprouvait à faire dessiner l’objet le plus simple par un jeune Musulman. Si l’enfant y réussit par hasard, son travail est toujours très inférieur à celui d’un élève européen du même âge et de culture égale. Notre littérature enfin les touche médiocrement, ou pas du tout. Ce qui fait qu’un livre est une œuvre d’art, ce qu’il a proprement d’esthétique leur est lettre close. Poussez un peu ceux qui se prétendent au courant, vous, verrez que leurs admirations ou leurs critiques sont empruntées au dernier journal qu’ils ont parcouru. S’ils essaient de juger par eux-mêmes, c’est ordinairement sur les petits côtés, les infimes détails qu’ils se rabattent. Ils relèvent une inexactitude, ils s’égayent d’une faute contre la couleur locale. Au fond, tout cela leur est profondément indifférent. Ils ne comprennent pas notre manie littéraire et nous trouvent bien sots de nous amuser à décrire la vie, alors qu’il est si doux de la vivre. Dans tout le fatras d’écritures romanesques dont nos auteurs les inondent, ils ne distinguent guère que la pornographie, précisément parce que ce genre de littérature n’est littéraire que par