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Continuellement d’ailleurs ces mauvaises dispositions se trahissent, soit dans des articles de journaux, soit dans des conférences. Journalistes et conférenciers ne se bornent pas à des récriminations, ils embouchent quelquefois la trompette guerrière. On évoque les antiques victoires de l’Islam ; on rappelle les siècles lointains où la chrétienté tout entière faillit s’écrouler sous l’assaut du Croissant. Sans doute, c’est le droit des Arabes comme des Turcs de commémorer leurs vieux triomphes et de s’en enorgueillir. Mais pourquoi faut-il qu’à travers ces jactances nationales, on devine des arrière-pensées de revanche ou de représailles ? Quand l’imagination conquérante de ces patriotes se débride, elle embrasse et se soumet tout l’ancien Empire des Khalifes, et c’est bien juste, si, dans son vol vers l’Occident, elle s’arrête au champ de bataille de Poitiers.

Au cours d’une conférence, à laquelle j’assistai, un avocat du Caire démontrait à son auditoire que la France était redevable à l’Islam : 1° de sa civilisation et de ses sciences ; 2° de la moitié de son vocabulaire ; 3° de ce qu’il y a de meilleur dans le caractère et dans la mentalité de sa population, vu que, depuis le moyen âge jusqu’à la Révolution de 89, tous les réformateurs qui ont travaillé à son affranchissement, — Albigeois, Vaudois, Calvinistes et Camisards, — tous ces hérétiques sont des descendans probables des Sarrasins : c’était l’annexion pure et simple de la France à la Mauritanie…

En attendant, l’Egypte répond à nos invasions guerrières d’autrefois par des invasions de touristes, chaque année plus considérables. Les Egyptiens visitent beaucoup plus la France que nous ne visitons leur pays. Que dis-je ? Cela devient une mode, parmi les nationalistes fervens, de pousser jusqu’en Espagne et de s’en aller méditer, dans les jardins de l’Alcazai de Séville, ou dans les patios de l’Alhambra de Grenade, sur les splendeurs défuntes de l’Islam occidental.

De là à rêver une fédération mondiale de tout l’Islam actuel, il n’y a qu’un pas. Dans leurs momens d’enthousiasme poétique, les nationalistes cairotes le franchissent intrépidement. Mustafa Kamel célébrait volontiers la puissance énorme que représentent les trois cents millions de musulmans répandus dans l’univers. Que faudrait-il pour unir en un faisceau formidable toutes ces forces éparses ?… un concours heureux de circonstances