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me souvenir que c’est elle qui m’a élevé, qu’elle a été l’éducatrice de mon pays !… La vérité, c’est que j’aime passionnément la France !…

Le malentendu provenait, selon lui, de ce qu’il était (comme beaucoup de Français, ajoutait-il) l’ennemi de l’alliance anglo-française. Et, à ce propos, il exécuta une charge à fond contre M. Delcassé. Sur cette matière, il ne tarissait pas, et, après avoir accumulé les argumens contre l’alliance, il revenait avec une insistance infatigable sur les trois ou quatre articles essentiels de son programme :

— Nous ne sommes pas des fanatiques, clamait-il, bien loin de là ! L’Islam favorise la science, prescrit l’obligation de l’étude pour le vrai croyant. C’est parce que nous nous sommes écartés des principes du Coran que notre peuple est tombé dans l’ignorance et la barbarie. Et nous n’avons aucune haine contre les étrangers ! L’hospitalité si large que nous leur accordons en est la preuve ! Libres chez nous, hospitaliers pour tous, telle est notre devise !

Mustafa Kamel avait l’habitude de ces développemens, il les maniait en virtuose, et, de plus, il était soutenu par une foi intrépide, entraîné par une parole abondante et nombreuse : il atteignit bientôt les plus hauts sommets de l’éloquence. J’étais seul, avec lui, dans ce cabinet du Lewa, et, néanmoins, il parlait comme si une foule eût été suspendue à ses lèvres. Cette fougue oratoire était en lui tellement spontanée et irrésistible que, l’année suivante, à Paris, dans une petite chambre d’hôtel où nous étions seuls encore, il me fit un véritable discours, comme devant une assemblée. Je fus obligé d’ouvrir la fenêtre : sa voix de bronze aurait brisé les vitres. Mais ce qui sauvait tout, c’était l’ardeur et l’impétuosité de son verbe, qui forçait la conviction. Une puissance étrange émanait de cet être fragile. Il était admirable, dans ces momens-là, avec son charme de jeunesse, cette langueur maladive, cette flamme de ses yeux et de son front, ce torrent de sa parole. S’il jouait un rôle, comme on le prétendait, il faut avouer qu’il s’identifiait avec son personnage. Il lui prêtait tout son cœur et lorsque, dans ses harangues, il saluait la Patrie future, réellement il la voyait, il y croyait et savait y faire croire ses auditeurs.

Je le quittai, partagé entre une sympathie tout instinctive, et les défiances qu’on avait semées dans mon esprit, mais très